La créativité, clef du développement de l’enfant
Par Marjorie Lavoie
La créativité est un sujet qui intéresse les chercheurs depuis plusieurs années déjà et qui s’avère un domaine de recherche foisonnant depuis les premières recherches de Guilford en 1950. La créativité est conceptualisée sous différents modèles théoriques, qui permettent de la détailler, de la nuancer et même de l’évaluer, à tout le moins certaines de ses nombreuses composantes. Partie intégrante de l’intelligence, elle nous permet en fait de nous adapter positivement aux situations ou aux obstacles rencontrés en plus de générer des retombées positives sur l’estime de soi et le développement identitaire. Essentielle à l’humain et à son développement, elle est ainsi fondamentalement présente chez tous les individus, à des niveaux et moments variables. La créativité, cette capacité à produire une réalisation à la fois nouvelle et adaptée au contexte peut ainsi se manifester dans différents domaines et est le fascinant résultat d’une combinaison de facteurs à la fois individuels et environnementaux.
Une part d’inné…
D’une part, certains traits de personnalité, présents dès la naissance et qui évoluent avec le jeune, prédisposeraient à la créativité : prise de risque, ouverture aux nouvelles expériences et tolérance à l’ambiguïté.
D’autre part, des processus cognitifs, impliqués dans la façon dont le cerveau génère des idées créatives, sont aussi en jeu. Le processus de pensée créative implique à la fois la pensée convergente intégrative (synthèse de plusieurs idées) et la pensée divergente exploratoire (générer plusieurs idées à partir d’une idée unique). La flexibilité cognitive (capacité de passer d’un idée à l’autre ou d’une tâche à l’autre), la fluidité (nombre important d’idées générées) et l’originalité (rareté et nouveauté des idées) sont d’autres aspects cognitifs impliqués dans le processus de pensée créative.
Qui plus est, des aspects psychologiques, notamment en lien avec la motivation et les émotions, font également partie de l’équation dans le développement de la créativité chez l’individu. Ainsi, bien que les facteurs précurseurs au développement de la créativité demeurent à rechercher et à favoriser dès la petite enfance, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un développement, et donc d’un processus dynamique et unique à chacun, le tout dans un contexte et un environnement particulier.
… et une part d’acquis
Ainsi, l’environnement dans lequel baigne le jeune a lui aussi une influence sur le développement de la créativité. Est-ce que les conditions matérielles, relationnelles et culturelles dans lesquelles se développe le jeune encouragent ou entravent la créativité et la mise en place de ses ressources personnelles potentielles? La nature même de la tâche est donc à considérer, tout comme le contexte de sa réalisation et son environnement global, éléments sur lesquels il est évidemment possible d’intervenir afin de promouvoir et développer la créativité, dans le respect du rythme et des potentiels de chacun.
Les recherches en neurosciences ont mis en évidence le concept de neuroplasticité, soit l’activation de nouveaux circuits neuronaux dans le cerveau lors d’apprentissages. À la lumière de cette potentialité du cerveau à modifier et remodeler ses connexions en fonction des expériences et de l’environnement, il semble dès lors pertinent de « l’entraîner » à activer de nouveaux circuits neuronaux en l’exposant à des situations qui peuvent faire appel à certains processus cognitifs de la pensée créative.
Entraînement créatif
Tant à l’école qu’à la maison, il est possible de favoriser l’émergence d’environnements favorables à la créativité. L’objectif est de tenter d’y parvenir de façon simple, abordable et régulière, un peu comme une saine habitude de vie. La créativité, cette capacité à générer une production originale et adaptée au contexte, est souvent exacerbée lorsqu’on sort légèrement de notre zone de confort, lorsque nos repères habituels ne sont plus disponibles et qu’il faut trouver une nouvelle solution pour s’en sortir. À petite échelle, il est ainsi pertinent de proposer des activités non-conventionnelles, nouvelles, qui sortent de notre cadre de référence usuel afin d’avoir un regard frais et de permettre d’expérimenter – et donc potentiellement se tromper - pour apprendre. L’essentiel est de miser sur le plaisir et la curiosité, d’instaurer un climat qui permet l’exploration créative au quotidien dans le respect des jeunes. En voici les grandes lignes, suivies de quelques propositions créatives plus spécifiques.
- Favoriser les questions ouvertes, qui laissent place à l’élaboration plutôt qu’à une réponse « oui » ou « non » et ainsi valoriser respectueusement le point de vue du jeune, lui donner confiance dans l’expression de soi, verbale ou artistique, et dans sa créativité;
- Jouer et favoriser l’aspect ludique des tâches puisque le niveau de plaisir et d’émotions positives est augmenté dans ce contexte, ce qui influence la motivation à apprendre et favorise les apprentissages tout en diminuant l’aspect potentiellement menaçant de la tâche à effectuer.
- Rester ouverts et flexibles face aux imprévus; ils sont générateurs de solutions créatives lorsqu’on apprend à les tolérer. Le plein air s’avère à cet effet un lieu de prédilection aux apprentissages créatifs puisqu’une activité « connue » mais effectuée à l’extérieur, exige en soi des adaptations, petites ou grandes, créatives.
- Varier les activités et tâches créatives proposées, puisque de nombreuses composantes de la créativité sont en jeu chez chacun à des degrés variés et variables, avec des hauts et des bas, et en fonction du domaine et de l’activité.
Pour stimuler le processus de pensée créative au quotidien, on pourrait proposer aux jeunes de participer à des tempêtes d’idées sur un sujet donné (pensée divergente exploratoire) et ensuite de rétroagir ensemble, en tentant de retenir les idées les plus originales et adaptées (pensée convergente intégrative). Les sujets peuvent être variés, on pourrait par exemple les lister et en piger un par jour pour se prêter à l’exercice et s’y entraîner tout en favorisant la nouveauté quotidienne, favorable à la créativité.
Le concept de carte mentale pourrait aussi se prêter au jeu : à partir d’un mot ( ou d’une image) placé au centre, générer d’autres mots (ou images) qui sont en lien, de manière à créer une arborescence d’idées.
Il pourrait aussi s’agir de générer des idées alternatives pour un objet choisi, spontanément et aléatoirement, dans la classe ou à la maison : « Qu’est-ce que cela pourrait être? À quoi cela pourrait servir? … Hormis sa fonction usuelle et conventionnelle? ».
Dans la même lignée, il pourrait aussi s’agir de tenir un journal de gribouillis quotidiens, effectué tantôt les yeux fermés; avec la main non-dominante; les deux mains à la fois; sur une jambe; en dansant; etc. Une fois le gribouillis mis sur papier, il s’agit de le transformer : « Qu’est-ce que cela pourrait être? ». Cet exercice peut aussi être fait collectivement, où un jeune transforme le gribouillis d’un autre, selon les besoins et objectifs. Une ou des histoires pourraient potentiellement être inventées en se basant sur les images ainsi créées, et aussi transformées au fur et à mesure selon l’ordre des images.
Finalement, permettez-vous d’être créatifs vous-mêmes en tant qu’adultes. Les jeunes apprennent beaucoup par observation et le fait d’avoir des adultes significatifs empreints de créativité dans leur façon d’être ne peut que les encourager à cultiver cette essence, si importante à leur développement. En leur permettant de se familiariser et d’habiter cet espace créatif, vous leur permettez respectueusement de se créer tel qu’ils sont, uniques.
Dre Marjorie Lavoie
Psychologue et art-thérapeute
Professeure régulière en art-thérapie, Unité d’enseignement et de recherche en développement humain et social, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
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