La justice autochtone, gage d’un avenir durable pour tous

Par Riley Yesno pour le Réseau ÉdCan

Publié depuis 1949, le magazine Éducation Canada est considéré comme une des sources les plus fiables de discussions d’apprentissage professionnel fondé sur les données probantes au sujet de certains des enjeux les plus complexes auxquels sont confrontés les éducateurs d’aujourd’hui.

Nous avons tous un rôle à jouer dans la réalisation de cet avenir

Lorsque je pense aux étapes nécessaires à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030, les droits et la justice autochtones me viennent immédiatement à l’esprit. Pour moi, il est clair qu’il ne pourrait y avoir de monde durable sans que soient créées les conditions qui permettront aux peuples autochtones de s’épanouir.

Plusieurs des buts poursuivis par les ODD (notamment laisser en héritage un monde durable aux générations futures, adopter des pratiques de consommation responsables, créer des partenariats solides, etc.) correspondent déjà aux valeurs et aux pratiques de la plupart des nations autochtones qui, selon un rapport des Nations Unies datant de 2018, forment seulement 5 pour cent de la population, mais protègent plus de 80 pour cent de la biodiversité sur la planète (Raygorodetsky, 2018). Ce n’est pas tout : l’importance accordée à la réduction des iniquités dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 « est particulièrement pertinente pour les populations autochtones, qui sont presque universellement en situation désavantagée comparativement à d’autres segments de la population » [traduction], selon les Nations Unies (2018). Au Canada, les peuples autochtones sont cruellement surreprésentés dans toutes les formes d’iniquités.

Malgré les liens évidents entre les Autochtones et les ODD, je crois que pour certaines personnes, et très certainement pour plusieurs environnementalistes, décideurs et enseignants que j’ai connus, mettre en évidence le rôle des peuples autochtones pour l’atteinte des ODD est une démarche abordée davantage après-coup qu’une véritable nécessité. Cette ligne de pensée et d’inaction doit à tout prix être modifiée, surtout au Canada, où les progrès à l’égard des ODD connaissent un retard important – et cela est tout simplement renversant compte tenu de l’état dans lequel sont les communautés autochtones.

Cela ne signifie pas que le dialogue avec les peuples autochtones sur les ODD soit un échec complet. En fait, dans l’Examen national volontaire du Canada de 2018, les peuples autochtones ont été mentionnés dans les rapports d’étape de presque tous les ODD à ce jour (Affaires mondiales Canada, 2018). J’ai toutefois longtemps maintenu que l’importance accordée aux peuples autochtones dans le dialogue sur les ODD est insuffisante. De plus, je crois que les approches adoptées par le Canada et par les Canadiens pour collaborer avec les peuples autochtones jusqu’à maintenant ne sont pas les bonnes.

En 2019, la principale approche que le Canada préconisait pour aborder les préoccupations des Autochtones à l’égard des ODD a été « d’investir dans les programmes pour Autochtones déjà en place et correspondant à chaque ODD, et de viser une plus grande consultation et une meilleure collaboration avec les peuples autochtones de tous les secteurs » [traduction] (Yesno, 2019). Or, aucune de ces approches n’entraînera de réelle transformation. Des consultations et plus d’argent ne suffiront pas à apporter les changements que méritent les communautés autochtones ni à produire les retombées souhaitées du Programme 2030; des changements de ce genre exigent une restructuration des pouvoirs et des champs de compétences; et la mise en place d’outils et de capacités nécessaires aux peuples autochtones pour tracer leur propre voie vers l’autodétermination.

Pourquoi l’autodétermination? Parce que les peuples autochtones ne peuvent protéger le territoire s’ils doivent vivre sous la menace constante qu’il leur sera enlevé. Ils ne peuvent pas non plus viser des pratiques de développement durable si des projets miniers, de barrages, de pipelines et d’extraction d’autres ressources sans leur consentement planent au-dessus de leur tête. Les peuples autochtones ont déjà le savoir nécessaire pour assurer le respect de relations durables entre humains et avec la nature; nous entretenons des relations harmonieuses avec l’environnement depuis des millénaires… bien avant la colonisation. Il est toutefois difficile de conserver ce mode de vie, lequel serait profitable pour toutes les personnes vivant au Canada, lorsque nous devons, simultanément, nous battre pour conserver nos droits fondamentaux. C’est là que l’éducation joue un rôle essentiel. Alors que les générations actuelles et futures naviguent à travers les crises de durabilité et le feront jusqu’en 2030 et au-delà, il est important qu’elles aussi voient les droits des Autochtones comme un élément indispensable d’un monde durable.

L’une des plus grandes forces des jeunes, je crois, tient à leur capacité à chercher et à adopter des changements radicaux – une habileté qui peut être difficile à maintenir quand on prend de l’âge. La transformation de la relation du Canada avec les peuples autochtones de la façon dont je l’ai expliquée précédemment entraînerait un changement vraiment radical et marquant. Il faudra qu’une génération tout entière se lève, défende et croie en un tel changement pour qu’il survienne dans les faits. Il appartient à la génération actuelle d’enseignants, de parents, de leaders d’opinion et de décideurs d’aider ces jeunes à bien comprendre, et d’insister sur l’importance de bâtir des relations solides avec les peuples autochtones. Et c’est aussi à ces adultes qu’il appartient, en fin de compte, de les guider tout au long de ce combat.

Les ODD offrent une porte d’entrée intéressante aux discussions pour aborder les différentes façons dont on a laissé pour compte les peuples autochtones dans ce pays, et sur les moyens à prendre pour que cela change. L’objectif 5, « L’égalité entre les sexes » permet de mettre en lumière la question des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées (FFADA). Il existe toute une liste de mesures qui devraient être mises en place pour mettre fin à cette iniquité. Quant à l’objectif 6, « Eau propre et assainissement », il suffit de nommer les dizaines de communautés autochtones qui ne disposent pas d’une source d’eau potable fiable et les nombreuses voix autochtones qui cherchent des moyens de surmonter ce problème. Il faut expliquer aux jeunes que les peuples autochtones autour d’eux luttent autant pour leur avenir que pour le nôtre.

Je me dois de souligner que partout au pays, des enseignants, notamment, donnent l’exemple et partagent déjà cette information dans leur classe comme hors classe. Je le sais, car j’ai eu le privilège d’avoir de tels enseignants et de tels mentors. Pour les personnes dont la tâche, essentielle, consiste à éduquer et à former les jeunes, et qui souhaitent faire plus pour inclure la justice autochtone à leur enseignement, des ressources existent déjà – et elles n’attendent que vous pour se faire connaître. À ce sujet, vous pouvez commencer par OISE, 2001Gamblin, 2019 ou le Yellowhead Institute, 2019.

Dans l’ensemble, les droits et la justice autochtones, surtout en ce qui a trait au droit à l’autodétermination, doivent devenir une priorité dans le contexte où nous nous attaquons aux ODD, et où nous devons prendre en charge un monde qui semble être de plus en plus précaire. Non seulement parce que c’est moralement la chose à faire, mais aussi parce qu’il s’agit d’une part essentielle de la voie de l’avenir. Il est plus que temps que nous réalisions qu’en fin de compte, il n’existe aucun avenir durable sans droits autochtones et que nous avons tous un rôle à jouer pour nous assurer que ces droits soient respectés.

En 2015, les Nations Unies résumaient bien la situation : « L’avenir de l’humanité et de la planète est entre nos mains. Il est aussi entre les mains des jeunes d’aujourd’hui, qui passeront le flambeau aux générations futures. Nous avons tracé la voie qui mène au développement durable; c’est à nous tous qu’il appartient maintenant de faire en sorte que cette quête aboutisse et que ses acquis soient irréversibles. »

Les peuples autochtones sont prêts depuis longtemps à entreprendre cette quête et j’espère vivement que nous pourrons travailler ensemble afin que les prochaines générations soient prêtes à faire de même.

RÉFÉRENCES

Gamblin, R. (4 novembre 2019). LAND BACK! What do we mean? 4 Rs Youth Movement.
http://4rsyouth.ca/land-back-what-do-we-mean

Affaires mondiales Canada (2018). Mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 (pp. 1–167). Gouvernement du Canada.

Deepening Knowledge Project, 2001. Best practices for teaching Aboriginal students. Ontario Institute for Studies in Education (OISE).
www.oise.utoronto.ca/deepeningknowledge/UserFiles/File/UploadedAmina_/Best_Practices_for_Teaching_Aboriginal_Students.pdf

Raygorodetsky, G. Can indigenous land stewardship protect biodiversity? Magazine National Geographic, 19 novembre 2018.
https://www.nationalgeographic.com/environment/2018/11/can-indigenous-land-stewardship-protect-biodiversity-/

Nations Unies, Département des Affaires économiques et sociales, 2015. Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
https://sdgs.un.org/2030agenda

Nations Unies, Département des Affaires économiques et sociales, 2018. Indigenous Peoples and the 2030 Agenda.
https://bit.ly/3qZZ8wm

Yellowhead Institute, 29 octobre 2019. Land Back: A Yellowhead Institute Red Paper.
https://redpaper.yellowheadinstitute.org

Yesno, R., 11 juin 2019. UNDRIP and the SDGs: There’s no sustainable future without Indigenous rights. Alliance2030.
https://alliance2030.ca/undrip-and-the-sdgs-theres-no-sustainable-future-without-indigenous-rights/

Riley Yesno

Riley Yesno (elle/la) est chercheuse de profession, écrivaine et conférencière. Elle se spécialise dans les questions autochtones et de la jeunesse, ainsi que dans la justice climatique. Anishnabée de la Première Nation Eabametoong, elle vit présentement à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador.

 

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