Le bonheur à l’école : et si on l’enseignait?

Par Caroline Moffet

Justin Lewis / Stone via Getty Images

Qu’est-ce que le bonheur? Comment l’enseigner aux enfants? À qui incombe cette tâche?
Si le chapeau ne fait à personne, qui le portera?

Ce texte s’adresse aux parents, aux enseignantes et enseignants, chercheurs de sens. Il est une invitation à s’installer près du feu avec des femmes et des hommes qui transmettent quelque chose qui a du sens pour eux, qui engage une réflexion personnelle et qui procure de la joie. Sens, engagement et plaisir. Et si c’était ça le bonheur?  

En espérant que ces réflexions puissent inspirer quelque chose qui donne envie de transmettre… pour bâtir, ensemble, nos cathédrales de demain. Brique par brique. 

Je pourrais être heureux si je savais comment!

J’ai eu le bonheur de découvrir Mélanie Veilleux dans la lecture de son doctorat en psychologie1. Pour elle, le bonheur serait « le but ultime et significatif de l’être humain ». Pour comprendre ses composantes et pour mener sa recherche, elle a cherché des gens heureux (pas si simple à trouver, il paraît).

Les points en commun des gens heureux2 :

- Plaisir : ressentir des émotions et des sensations agréables au quotidien;
- Passions : vivre des activités qui procurent le sentiment de se réaliser pleinement;
- Sens à sa vie : mettre ses forces personnelles au service d’une aspiration élevée;
- Communication : s’exprimer et avoir une facilité d’introspection.

Ses conclusions : en s’inspirant des recherches de Seligman, elle avance que pour atteindre le bonheur, les êtres humains ont besoin de ces trois composantes :  

  1. Trouver un sens à l’existence; 
  2. S’engager dans des activités captivantes;
  3. Vivre du plaisir.

BRIQUE 1 : LE SENS

À quoi ça sert ce qu’on apprend?

Connaissez-vous Bernard Charlot? C’est un professeur émérite, grand pédagogue et chercheur en sciences de l’éducation (je l’adore).  Il s’est penché sur le rapport au savoir. Selon lui : « Naître, c’est être soumis à l’obligation d’apprendre ». Apprendre n’est pas simplement empiler des connaissances. Non. C’est bien au-delà de ça.
Pour Charlot, chaque être vivant sur notre planète doit apprendre. Les insectes, les animaux et les humains apprennent.

Apprendre c’est survivre. Apprendre c’est réfléchir et trouver un sens. Apprendre est une obligation, anthropologique et sociale.

Apprendre : « c’est réunir ses forces, pour faire usage de soi comme d’une ressource […] c’est aussi s’engager dans une activité parce qu’on est porté par des mobiles, parce qu’on a de bonnes raisons de le faire »3.

Apprendre, c’est donc faire le choix de se mobiliser. C’est faire des  erreurs, se mettre en mouvement, faire des efforts, réfléchir et tomber.
Apprendre c’est se relever et essayer à nouveau.
Apprendre c’est chercher un sens et une place bien à soi dans ce monde. Certains y arrivent plus facilement que d’autres.
Tomber et faire des erreurs font partie du processus d’apprentissage pour tous les êtres vivants.
Pourquoi pas nous? Acceptons de nous tromper. Offrons-nous le droit à l’erreur et visons l’effort et la résilience. 

Réflexion sur le sens

Apprendre c’est aussi rendre intelligibles ses pensées, observer le monde pour le comprendre, se comprendre et le penser.
Au IVe siècle avant notre ère, Platon appelait la pensée « l’œil de l’âme ». Mon professeur de philosophie Jean Proulx parlait de « déplier ce monde matériel par notre pensée ». Selon lui, il existe une réalité derrière celle que l’on perçoit. C’est pour cela qu’il faut développer sa pensée critique et aiguiser son regard sur la situation ou l’objet d’apprentissage pour la déplier à notre façon. 

Enseigner l’esprit critique, la réflexion par « l’œil de l’âme », c’est offrir la chance aux enfants d’apprendre à réajuster leur regard sur les événements, à leur trouver un sens.

Enseigner l’esprit critique, c’est aussi les aider à garnir leur coffre à outils pour qu’ils puissent faire leurs propres constatations sur le monde et qu’ils apprennent à se connaître. Jean Proulx appelle cela : devenir des artisans de la beauté du monde. Aidons les enfants à trouver de grandes idées et aidons-les à les partager.

Pour trouver un sens en classe : 

  • Susciter la réflexion personnelle des élèves;
  • Offrir des choix aux élèves;
  • Enseigner explicitement à quoi sert ce qu’on est en train d’enseigner; 
  • Demander deux raisons pour lesquelles la leçon est importante selon eux;
  • Enseigner les stratégies pour donner son opinion;
  • Offrir un bâton de parole pour que les élèves expliquent dans leurs mots ce qu’ils ont compris;
  • Trouver ensemble un sens à ce qu’ils ont appris. 

BRIQUE 2 : L’ENGAGEMENT

L’engagement commence par soi…

S’engager, c’est s’investir pleinement dans une tâche. L’engagement est un trait d’union entre les défis et les aptitudes. Quelque part entre les deux, il y a la confiance en soi pour surmonter sa peur de ne pas réussir. 

Mihaly Csikszentmihalyi, psychologue hongrois contemporain, s’est penché sur la question de l’engagement et de la motivation. Ses théories émanent d’une conception humaniste de la créativité en psychologie positive. Il a travaillé sur le concept d’hyperconcentration, de plein engagement dans une tâche. Pour Csikszentmihalyi, s’engager peut ressembler à une expérience optimale où tout devient fluide. Il appelle cela « l’état de flow ».

Mais comment enseigner cela aux enfants?

En leur enseignant à se faire confiance, à être autonomes en s’engageant pleinement dans leurs activités.

De son côté, Boris Cyrulnik, médecin, neuropsychiatre et psychanalyste français, explique que tout ce qui entoure l’enfant construit son cerveau. Participer à son éducation, c’est le rendre autonome pour qu’il s’engage dans son propre apprentissage. Selon lui, « si la mère d’un enfant n’est jamais là, c’est la catastrophe. Si elle est trop là, c’est l’engourdissement »4. À nous de trouver un juste milieu entre ce que l’on donne et ce qu’il peut donner! 

Pour qu’il s’engage et se fasse confiance, aider l’enfant à : 

  • Développer ses compétences;
  • Comprendre ses émotions;
  • Aiguiser son regard pour observer le monde;
  • Développer son esprit critique;
  • Prendre ses responsabilités devant l’adversité ou le défi; 
  • Développer ses stratégies de résilience.

L’engagement… c’est aussi avec les autres!
On ne peut devenir autonome tout seul. C’est avec l’autre que je me construis. Ce rapport humain implique un engagement où chacun construit son monde en participant à la construction du monde de l’autre. 

Selon Veilleux (2017) cet engagement social regroupe les intérêts, les ambitions et stimule le goût d’apprendre. Échanger, se comprendre, se construire ensemble permet ainsi de se sentir lié à quelqu’un, de faire partie du groupe. Ce phénomène est une composante importante dans sa définition du bonheur. 

Pour vivre l’engagement en classe : 

  • Connaître ses élèves, ce qu’ils aiment, ce qui les motivent;
  • Demander de fixer un objectif personnel;
  • Inviter l’enfant à trouver des stratégies pour s’engager;
  • Avoir un objectif clair de travail, une action spécifique dans un temps précis; 
  • Créer une activité qui fournit une rétroaction immédiate si possible par les pairs; 
  • Offrir des tâches assez exigeantes, mais réalisables; 
  • Faire un bilan oral à la fin de l’activité pour s’autoévaluer dans leur efforts. 

BRIQUE 3 : LE PLAISIR

Le plaisir se trouve dans la façon dont nous ressentons des émotions ou des sensations positives5. Trouver ce qui nous fait plaisir et en saupoudrer dans notre vie. Simple, mais pas tant.

Petit défi au lecteur : faire une liste de 30 choses qui nous font plaisir dans notre quotidien et afficher cette liste. On s’approchera peut-être un peu du bonheur. Pourquoi ne pas proposer cette activité aux enfants?

Le plaisir de participer à quelque chose de plus grand que nous…

Lire est sur ma liste. J’ai envie, en terminant, de me faire plaisir et de partager une fable qui me touche. Qui entre dans le sens, l’engagement et le plaisir.

Le casseur de pierres de Charles Péguy6

Volker Görtz / EyeEm via Getty Images.jpg

Un jour, Charles Péguy marche sur un sentier et rencontre un homme. Il lui demande : 

- Que faites-vous, Monsieur?

- Je casse des cailloux. C’est difficile, j’ai chaud, j’ai mal. Je travaille vraiment fort.

M. Péguy poursuit sa route et rencontre un autre homme. Il lui demande :

- Que faites-vous, Monsieur?

- Je fais mon métier. Je suis tailleur de pierre. Je gagne ma vie. 

L’auteur poursuit sa route et rencontre un autre homme. Il lui demande : 

- Que faites-vous, Monsieur?

Souriant et fier, l’homme lui répond :

- Moi? Je bâtis une cathédrale! 

Cette fable casse, taille ou bâtit… Trois regards sur une même situation. Trois postures. Que choisit-on de nourrir?

Cet homme qui construit des cathédrales a décidé de participer à quelque chose de plus grand que lui. Il s’est dit :  je change mon regard sur l’action, je change mes pensées, je change le monde! Et pourquoi pas nous? 

Petit défi au lecteur : Pourquoi ne pas présenter la fable du casseur de cailloux à vos enfants à la maison ou en classe? Ces petits philosophes risquent de nous surprendre avec leurs regards sur cette fable.  

Conclusion 

Élever, enseigner, accompagner des enfants, c’est construire nos cathédrales de demain. La vie n’est pas simple. Grandir n’est pas simple. Que de murs se dressent sur notre route. Un mur, mille façons de l’escalader! Il faut tout un village pour construire des cathédrales. Comme adultes, devenons maçons.  Brique par brique, aidons nos enfants à développer leurs forces pour rebondir. Aidons-les à construire leur propre cathédrale. 

À nous de trouver ce qui donne un sens à notre travail en enseignement, à notre rôle de parent, ce qui permet de nous engager et surtout, ce qui nous fait plaisir pour transmettre la joie. Un enfant à la fois. 

« Un jour à la fois.
Ici et maintenant.
Du mieux que l’on peut.
Sans jugement »7.

Caroline vous recommande :

L'épisode L'école des Beaux-Arts de la Série En sortant de l'école

Un père transmet à ses enfants la magie de l’émerveillement et de l’imaginaire. Un souvenir qui restera gravé dans leur mémoire une fois l’enfance passée.


Intégration en classe!
Faire cet exercice en classe avant d'écouter le film. Faire écrire un mot qu'ils aiment ou faire dessiner leur animal préféré sur une feuille. Ensuite écouter la vidéo. Mettre de la musique et écrire une lettre aux parents pour dire merci (reconnaissance).

Visionner l'épisode L'école des Beaux-Arts de la série En sortant de l'école sur IDÉLLO

Références

1 Veilleux, M. (2017). L’expérience subjective du bonheur chez les gens heureux. Thèse de doctorat en psychologie, Université Sherbrooke, p.201.
2  Idem.
3 Charlot (2002, p.62).
4  Lauzerte, entretien avec Cyrulnik (2019).
5  Veilleux (2017).
6 Expression libre tirée de Cyrulnik, B. Les clés du bonheur, Le nouvel observateur, 3-9 janvier 2002
7 J’ai entendu ces paroles d’encouragement dans une conférence de Mylène Paquette qui a traversé toute seule l’océan Atlantique sur son voilier. Ces phrases sont celles qu’elle se disait pour se motiver les jours de grandes vagues.

Ressources

Charlot, B. (2001). Les Jeunes et le Savoir. Éditions Anthropos, Paris.
Charlot, B. (2002). Du Rapport au Savoir, Éléments pour une théorie. Éditions  Anthropos, Paris.
Csikszentmihalyi, M. (1997). Finding flow: The psychology of engagement in everyday life. New York, NY: Basic Books.
Csikszentmihaly, M. (2004). Vivre. La psychologie du bonheur. Paris, France : Robert Laffont.
Cyrulnik, B. Les clés du bonheur, Le nouvel observateur, 3-9 janvier 2002
Proulx, J. (2002). Artisans de la beauté du monde. Septentrion. 191 p.
Rogers, C. (1969). Freedom to learn. Columbus, OH: Charles E. Merrill.
Seligman, M. et Csikszentmihalyi, M. (2014). Positive Psychology: An Introduction. Dans M. Csikszentmihalyi (dir.), Flow and the foundations of positive psychology (p. 279-298). Dordrecht, Pays-Bas : Springer.
Veilleux, M. (2017). L’expérience subjective du bonheur chez les gens heureux. Thèse de doctorat en psychologie, Université Sherbrooke, 210 p.

Caroline Moffet | Spécialiste en contenus éducatifs, TFO-IDÉLLOcmoffet@tfo.org

Depuis plus de vingt ans, Caroline Moffet travaille dans le monde de l’éducation comme enseignante en contexte minoritaire, conseillère pédagogique, conceptrice pédagogique et spécialiste en contenus éducatifs. Elle a enseigné le français langue seconde (FLS) au Manitoba et auprès d’étudiants des Premiers Peuples. Elle a également développé du matériel pédagogique en FLS pour l’Université de Saint-Boniface et selon l’approche traditionnelle autochtone pour le Centre des Premières Nations Nikanite. Caroline a fait ses études de maîtrise en Éducation, est titulaire d’un baccalauréat en Études françaises et d’un certificat en pédagogie. Elle milite pour une pédagogie réflexive qui forme des individus créatifs et indépendants, des citoyens éveillés, engagés et heureux.

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