Jean Marc Dalpé en classe de français? Osons l’art qui bouscule!
Par Caroline Moffet
« Donner accès à l’art en classe, c’est donner accès à cet échange et à cette compréhension du monde ». Ce sont les paroles de Jean Marc Dalpé. Je l’ai rencontré en mars dernier. J’ai encore ses réponses gravées dans ma mémoire comme des fenêtres ouvertes sur notre monde morcelé. Ses mots rapiècent les fractures, lénifient le fil cassé du quotidien difficile vécu par ses personnages. Ses mots frappent. Ses mots donnent de l’espoir.
Le Jean Marc Dalpé que j’ai rencontré est le Jean Marc Dalpé que j’ai lu. Honnête, intègre, touchant, respectueux de ses racines, amoureux de la langue et de la culture. Lire Jean Marc Dalpé en classe, c’est permettre à nos élèves de comprendre l’humain en ouvrant leur esprit et leur cœur.
Voici ce que je retiens de notre rencontre.
Ce texte propose les mots de Jean Marc Dalpé sous forme de questions-réponses. Également, il présente des pistes d’exploration de la pièce Lucky Lady1 pour les élèves de 10e à 12e année en classe de français.
Si un enseignant ou une enseignante du secondaire veut présenter Jean Marc Dalpé2 à ses élèves, comment le présente-t-il?
Des fois, les gens ont des idées arrêtées de ce qu’est un artiste. On entend parler des poètes : on les imagine à leur bureau, seuls, en train d’écrire… Si j’avais à me présenter, je dirais que j’ai plusieurs cordes à mon arc. Ça fait 40 ans que je gagne ma vie comme artiste pigiste. Je ne suis pas un auteur qui reste dans son bureau. Je fais plein de choses. Je suis auteur, traducteur, poète, dramaturge et acteur. J’ai fait ma formation au Conservatoire d’art dramatique de Québec et le théâtre fait partie de ma vie. J’aime les salles de répétition, les tournages, les tournées. J’ai écrit une série télévisée Temps dur présentée à Radio-Canada en 2004.
À quoi ressemblent vos journées?
Dans une seule journée, je peux gérer trois ou quatre projets. Oui, évidemment écrire dans mon bureau fait partie de ma vie. Il y a des moments où je me consacre à un projet. Mais la plupart du temps, je saute d’un projet à l’autre en une seule journée. Il y a des projets qui sont très courts et d’autres, comme ma série télévisée Temps dur qui s’est échelonnée sur trois années.
Par exemple, pendant trois ou quatre semaines, je travaille sur la traduction d’un ouvrage. Ensuite, je reçois des courriels et je commence des projets. L’écriture de la pièce Le chien3 m’a aussi pris du temps. C’était ma première pièce que j’écrivais seul. L’écriture de mon roman m’a pris huit ans.
Ces jours-ci, je me dis que la vie est courte et que je veux faire des affaires hors normes. Donc, j’ai toujours un projet hors normes comme le Wild West Show de Gabriel Dumont sur la lutte des Métis de l’Ouest du Canada qui a fait une tournée nationale. Expérience formidable en 2017 pour rencontrer des gens de l’Ouest et du monde autochtone et métis.
Quel a été votre truc pour devenir un dramaturge de votre trempe? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire et à avoir confiance en vous? Vous avez sûrement des cartes cachées dans votre jeu, non?
La colère. Une fois, à 16 ans, j’ai décidé de ne pas me laisser dominer, noyer par l’insécurité linguistique et j’ai dit :
- Hey, est-ce que tu es en train de rire de moi, de mon accent? Recule! Ne me regarde pas de haut! Je vaux autant que toi! Oui, je suis une minorité, mais je suis fier de ce que je suis! J’ai confiance d’exister avec la langue qui est la mienne! Je suis ce que je suis.
Avec ce NON, il y a une affirmation et une voix qui viennent avec cette première crise de colère là. C’est elle qui est à la source de plusieurs projets.
Quand avez-vous su que vous vouliez faire du théâtre et vivre de l’écriture?
Quand j’étais au secondaire, je n’étais pas un petit génie en français. J’avais de très mauvaises notes en français et je parlais anglais la moitié du temps. Jamais je n’aurais pu croire que j’allais devenir dramaturge et même traduire du Shakespeare en français!
Un jour, la lecture est arrivée dans ma vie. Il y a des livres qui m’ont frappé, qui m’ont bouleversé. J’ai réalisé tôt qu’il y avait quelque chose qui se passait lorsque j’étais seul avec mon livre. Par exemple, L’étranger d’Albert Camus.
Pour ce qui est du théâtre, j’avais 14 ans, je suis allé voir la production de Brassard Les Belles-sœurs de Michel Tremblay au Centre national des arts. J’ai eu un choc formidable. C’est comme… Woooow!
Ces rencontres avec des œuvres pertinentes qui font vibrer, ça t’ouvre des portes dans la tête, dans le cœur et ça réveille la curiosité…
Trucs à essayer en classe : l’impact de l’art dans notre vie
Ouvrir la discussion sur le patrimoine francophone :
- Pouvez-vous nommer des œuvres qui font partie de notre patrimoine francophone?
- En quoi les francophones se retrouvent-ils dans ces œuvres?
- Lorsque Jean Marc Dalpé dit que l’œuvre de Tremblay, Les Belles-sœurs, a été un choc formidable dans sa vie, que veut-il dire?
- Quelle œuvre vous a procuré ce genre de choc formidable dans votre vie? Pourquoi?
Discuter en plénière.
En quoi les œuvres francophones d’ici peuvent-elles inspirer les élèves en classe?
Lorsque tu as ouvert ta tête et ton cœur et que tu oses sortir des ornières d’une culture dominante, qui a plein de qualités, entendez-moi bien, mais lorsque tu oses sortir et affirmer ton identité culturelle, ça bouscule et ça vibre. Quand on parle de l’éveil de l’identité franco-ontarienne, c’est un peu comme l’éveil du théâtre. C’est comme une révélation et tout s’ouvre en même temps. C’est ce que j’ai vécu avec Les Belles-Sœurs.
J’espère que Lucky Lady sera une œuvre qui permettra de faire sentir aux jeunes cet éveil pour qu’ils se sentent fiers de leur langue et de leur culture.
Comment est née l’idée d’écrire la pièce Lucky Lady?
En 1990, Michel Nadeau du Théâtre Niveau Parking me propose d’écrire une courte pièce et j’écris Passion Fast Food. Comme le thème était passion, j’ai eu le flash des courses de chevaux. Je ne sais pas pourquoi. Je n’étais jamais allé aux courses de ma vie. Parier sur un cheval, c’était le thème de la courte pièce dans le livre Il n’y a que l’amour4, un recueil de courtes pièces. Michel voulait aussi que dans cette pièce, le cheval gagne. On s’attend tellement à ce que les gens perdent aux courses, nous voulions que, pour la courte pièce, le cheval gagne! Finalement, cette courte pièce a été un succès dans le spectacle. Alors, Michel m’a demandé d’allonger la pièce. Je ne voulais pas tellement. J’ai alors gardé la chaise roulante et la course où le cheval gagne et j’ai tout réinventé… la chanteuse country, les deux gars en prison, qui ont été mes premiers criminels… et voilà comment est né Lucky Lady.
Trucs à essayer en classe : l’honnêteté
Discuter avec vos élèves d’honnêteté à partir de la pièce Lucky Lady. Jean Marc Dalpé se dévoile et ose pratiquer la rigoureuse honnêteté : ce thème pourrait être travaillé à la suite de l’écoute du balado de la pièce Lucky Lady.
AVANT L’ÉCOUTE DU BALADO :
- Qu’est-ce qu’être honnête pour vous?
- Est-ce qu’il existe des moments dans notre vie dans lesquels être honnête n’est pas une option? Pourquoi?
- Comment reconnaît-on une personne honnête?
- Est-ce que l’honnêteté et l’intégrité sont des synonymes pour vous et pourquoi?
APRÈS L’ÉCOUTE DU BALADO :
- Décrivez les personnages comme vous les imaginez : Zach et Bernie, Claire, Mireille et Shirley.
- Sont-ils honnêtes et pourquoi?
Inviter les élèves à donner des exemples tirés du balado pour appuyer leurs propos.
Aujourd’hui, ce sont les jeunes de l’Ontario français qui vous liront en classe. Est-ce que je me trompe si je dis que c’est un message que vous leur lancez d’être ce qu’ils veulent être comme francophones, comme ados, comme artistes?
Je ressens beaucoup cette aspiration d’être qui nous sommes. Comme une sécurité et une fierté d’être ce que je suis comme francophone, comme ado, comme artiste.
Il ne faut pas avoir peur de nommer la douleur aussi. Je leur dirais aussi qu’il faut plonger dans notre faille.
Trucs à essayer en classe : la douleur des personnages
Discuter avec vos élèves de la douleur ressentie par les personnages de Zach, Bernie, Claire, Mireille et Shirley. Inviter les élèves à donner des exemples tirés du balado pour appuyer leurs propos.
Pourriez-vous nous parler de l’appropriation culturelle de Mireille dans la pièce?
Quand j’ai écrit la pièce, on ne parlait pas de ce sujet, de l’appropriation culturelle. Mireille ne va pas chercher ses racines. Elle n’a jamais été Autochtone. Elle se fait passer pour une métisse ou une autochtone. Je dénonce ce phénomène. En 1990, lorsque j’ai écrit ce personnage, j’étais en train de rire de ce qui se passerait 20 ans plus tard. Je trouvais ça très drôle les gens qui se prenaient pour ce qui ne sont pas.
Aujourd’hui, cette personne me fait encore plus rire. Je voulais aussi rire du New Age et de l’Underground des années 90. La vibration des roches. Les mysticismes qui s’approprient tout et rien sans approfondir ou comprendre les sources profondes de ces sciences.
Il y a des gens qui se sont faufilés ou se prétendaient Autochtones qui sont dénoncés aujourd’hui. C’est le contraire de l’authenticité selon moi.
Qu’aimeriez-vous ajouter en conclusion, quels secrets aimeriez-vous dire aux jeunes franco-ontariens?
Osez. Risquez. Il ne faut pas se limiter. Vaut mieux que ce soit le plus intense. Lancez-vous des défis! Moi, je fais le choix de me mettre dans des places qui ne sont pas confortables. Je ne cherche pas à être bien. Je cherche à être vivant. Vivant, c’est être ouvert aux autres et prendre des risques.
N’ayez pas peur! La peur ne doit pas nous dominer. La crainte est normale, mais ne jamais se laisser dominer par ça. Il y a du travail. Le monde est une œuvre en cours et en ce moment ça va assez mal merci sur notre planète. ll faut mettre l’environnement de l’avant. L’art m’éveille à l’autre et me permet de le rencontrer pour éviter tout ça. J’espère être une force qui invite les gens à retrouver un sens du commun. Et à faire le party! La joie, la littérature, le théâtre, la musique, tout cela m’éveille à l’autre… pour rencontrer les autres à leur meilleur! L’art, c’est ce que les êtres humains d’ailleurs et d’ici ont créé. L’art nous donne accès à la parole de l’autre. Donner accès à l’art, c’est donner accès à cet échange et à cette compréhension du monde et de l’autre.
Merci M. Dalpé. Merci pour cet entretien. Je vais passer le message…
En espérant que les élèves puissent être autant touchés par vous et par vos mots que je l’ai été.
Cordialement,
Caroline
Trucs à essayer en classe : Devenons des dramaturges!
Inviter les élèves à fermer leurs yeux et leur demander d’imaginer qu’ils sont dramaturges :
Vous êtes dans votre bureau de travail. Vous avez une pièce de théâtre à écrire. Quels sont les sujets qui vous intéressent?
Inviter individuellement les élèves à répondre à ces trois questions.
Nommez à l’écrit :
- Ce qui vous met en colère;
- Ce qui vous procure de la joie;
- Ce qui vous rend triste.
Discuter en plénière.
Ouvrir la discussion en établissant les points communs et les points de divergence entre les réponses des élèves.
Pour aller plus loin :
Proposer aux élèves d’écrire une courte pièce de théâtre collective en équipes.
Bibliographie de Jean Marc Dalpé
Jean Marc Dalpé est auteur dramatique, scénariste, poète et romancier. Il a écrit : Le Chien (pièce de théâtre), Il n’y a que l’amour (recueil de pièces qui comprend Trick or Treat), Août – un repas à la campagne (pièce de théâtre), Temps dur (télésérie), Les murs de nos villages (recueil de poésie), Cris et Blues (spectacle de poésie), Un vent se lève qui éparpille (roman) et aussi plusieurs courtes pièces en un acte dont Yvette et Happy End? et des scénarios pour des épisodes du téléroman Fred-Dy - contes urbains.
Il a réalisé des adaptations pour les œuvres suivantes : L’Opéra de 4 sous, Molly Bloom, Richard III. Il est co-auteur des pièces de théâtre suivantes : Hawkesbury Blues, Les Rogers, Nickel. Il a traduit plusieurs pièces de l’anglais.
Prix et distinctions : Récipiendaire (à trois reprises) du Prix du Gouverneur-Général : en 1988, pour sa pièce Le Chien, en 1999, pour le recueil de pièces intitulé Il n’y a que l’amour, et en 2000, pour le roman Un vent se lève qui éparpille.
Jean Marc Dalpé est membre de l’Ordre des francophones d’Amérique depuis 1997. Il a reçu le prix du Masque pour meilleur texte original, décerné à l’auteur pour Août – un repas à la campagne, le prix du Nouvel-Ontario en 1989 et le prix Le Droit pour sa pièce Eddy en 1997.
Il est titulaire d’un Doctorat honoris causa pour l’ensemble de son œuvre de l’Université d’Ottawa en 2010.
Références
1 https://www.idello.org/fr/ressource/47213-Lucky-Lady-De-Jean-Marc-Dalpe-Theatre-En-Balado
2 Pour en découvrir plus sur Jean Marc Dalpé, rendez-vous à la fin du texte.
3 Premier prix du Gouverneur général.
4 Deuxième prix du Gouverneur général.
Caroline Moffet
moffetcaroline@gmail.com
Depuis plus de vingt ans, Caroline Moffet travaille dans le monde de l’éducation comme enseignante en contexte minoritaire, conseillère pédagogique, conceptrice pédagogique, spécialiste et cheffe de contenus. Elle a enseigné le français langue seconde (FLS) au Manitoba et auprès d’étudiants des Premiers Peuples. Elle a également développé du matériel pédagogique en FLS pour l’Université de Saint-Boniface et selon l’approche traditionnelle autochtone pour le Centre des Premières Nations Nikanite. Caroline a fait ses études de maîtrise en Éducation, est titulaire d’un baccalauréat en Études françaises et d’un certificat en pédagogie. Elle milite pour une pédagogie réflexive qui forme des individus créatifs et indépendants, des citoyens éveillés.