Vers les pédagogies féministes

Par Caroline Moffet

 KLAUS VEDFELT / DIGITALVISION VIA GETTY IMAGES

Oser être libre d’être soi-même en classe comme élève, comme enseignante, comme personne humaine, quoi de mieux pour souligner la Journée internationale des droits des femmes? Enseigner selon l’approche féministe c’est viser la transformation personnelle et sociale et se placer en posture réflexive. Voici quelques regards sur ces pédagogies féministes et des exemples clés en main à essayer en classe autour des ressources IDÉLLO.

Les pédagogies féministes, c’est quoi au juste?

D’entrée de jeu, la pensée féministe vise l’amélioration du statut des femmes dans la société pour construire de nouveaux rapports sociaux. La pédagogie féministe fait place à l’expérience comme une source de savoir. Elle permet aux élèves de réfléchir par eux-mêmes en se questionnant sur les discours dominants et en les remettant en question. Elle fait place à la parole et déconstruit les rapports de pouvoir et de lutte contre les inégalités. Elle vise la transformation sociale pour tous. 

Holley et Steiner (2005, p. 49) présentent le modèle de «safe space» qui pave la voie à cette posture réflexive qui libère la parole en classe sans peur dans un espace sécuritaire pour favoriser la participation pleine et entière. Quant à eux, Abath, Campbell & Pagé (2018) considèrent les pédagogies féministes dans leurs différentes multiples dimensions (cognitive, métacognitive, affective, culturelle, économique, etc.). Ils invitent le personnel enseignant à examiner avec leurs élèves les inégalités par l’échange sécuritaire pour travailler ensemble à ne plus les accepter, à devenir courageux pour les dénoncer afin de ne plus les reproduire. 

Pour Pagé (2019), l’objectif de la pédagogie féministe serait d’abord d’inviter les élèves à devenir des agents de changement. En ce sens, la pédagogie doit déranger ou du moins bousculer pour faire place à l’apprentissage. Déranger, c’est accepter également, à titre de personnel enseignant, d’être soi-même bousculé dans ses convictions. Par exemple, si un propos raciste ou sexiste ou inégalitaire est prononcé en classe, il est possible d’attendre qu’une ou un élève le remarque, exprime son opinion sur le sujet et dans le cas contraire le dénoncer soi-même. Selon Pagé, nous avons tendance à prendre tout de suite la balle au bond et à réagir. Attendre peut provoquer de l’inconfort. À cet égard, Pagé avance qu’accepter cet inconfort est un pas vers l’approche féministe parce que l’adulte accepte de se laisser transformer par l’échange en mettant en pratique la posture non interventionniste. Elle appelle cela l’empowerment des femmes et d’autres groupes marginalisés (2019, p. 9). 

Tout bien réfléchi, les pédagogies féministes ont une visée pédagogique centrale : la transformation sociale. 

Idéologiquement, les pédagogies féministes valorisent : 

  • l’horizontalité dans les réflexions; 
  • une posture réflexive; 
  • la compréhension des rapports de pouvoir dans les savoirs, des rapports sociaux de sexe;
  • la représentation des points de vue dominant et dominé afin de rendre visibles la domination et la hiérarchisation de la justice sociale;
  • l’inclusion;
  • la reconnaissance de la diversité; 
  • la reconnaissance de la pluralité des points de vue;
  • la construction des savoirs qui participent à la lutte contre les oppressions des voix minoritaires.

En classe, les pédagogies féministes visent : 

  • l’empathie pour se mettre à la place d’autrui ou en partant du vécu des voix minoritaires ou des personnes visées;
  • l’expérience vécue en tant que source de savoirs; 
  • la conscientisation.

Stratégies gagnantes en classe1 : 

  • réagir aux propos sexistes, racistes, inappropriés, discriminatoires; 
  • éviter de donner des exemples stéréotypés sinon les replacer dans le contexte dans lequel ils ont été produits; 
  • encourager la prise de parole;
  • mettre en valeur la pluralité des modes de pensée;
  • faire valoir la reconnaissance de la pluralité des féminismes; 
  • viser une construction des savoirs courageux, ceux qui dérangent et laisser les élèves en parler en classe;
  • participer à la lutte contre les oppressions en se formant;
  • favoriser les apprentissages actifs, limiter les exposés magistraux;
  • privilégier les travaux d’équipe et la collaboration entre élèves.

1. L’égalité entre les filles et les garçons (cycle primaire)

Lutter pour l’égalité des sexes commence par la création d’un espace de discussion sain et sécuritaire à l’image de ce que nous aimerions voir dans le monde. 

Au cours des prochaines activités, les élèves sont conviés à réfléchir et à s’exprimer et à prendre conscience que les inégalités existent et que les élèves peuvent agir pour promouvoir l’équité entre tous les humains.  

Démarche

Ouvrir la discussion avec les élèves : 

  • Qu’est-ce que c’est le sexisme? 
  • Pourriez-vous expliquer ce que pourrait être le contraire du sexisme? 

Activité de discussion

Lire une citation à la fois et discuter avec les élèves. 

Inviter les élèves à formuler leurs opinions sur ces citations. 

  1. Mariane croit que les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques. 
  2. Le papa de Xi aime faire la cuisine. 
  3. Le rose est une couleur pour les filles. 
  4. Les camions sont des jouets de garçon. 
  5. Les garçons courent plus vite que les filles. 
  6. Il y a des sports qui sont uniquement pour les garçons. 

Recueillir les opinions. 

Discuter des stéréotypes. Expliquer que le sexisme, c’est lorsqu’une personne fait de la discrimination à une autre personne en raison de son genre. Expliquer qu’à la naissance, il n’y a pas de différence entre les cerveaux des garçons et les cerveaux des filles. 

 

 

 

 

Écouter la vidéo C'est quoi l'égalité entre les filles et les garçons?

Ouvrir la discussion à nouveau avec les élèves : 

  • Êtes-vous d’accord avec ce que vous avez entendu dans la vidéo? Pourquoi?
  • Quelles sont les choses avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord et pourquoi?
  • Comment allez-vous réagir la prochaine fois que vous entendrez des commentaires sexistes ou non égalitaires?

Partager. 

À vous de jouer : Autoportrait de l’unicité

Expliquer aux élèves que les grands peintres (femmes comme hommes) ont peint des autoportraits. Chaque peintre peint son corps et son visage comme elle ou il se perçoit. Les élèves seront invités à peindre leur portrait pour en discuter ensemble. 

Démarche

Présenter les peintres qui ont pratiqué les autoportraits : Artemisia Gentileschi, Vincent Van Gogh, Frida Kahlo, Salvador Dali, etc. 

Discuter avec les élèves des œuvres. 

Faire ressortir les éléments picturaux dans l’œuvre, les symboles choisis par l’artiste. 

Comparer les œuvres entre elles. 

Ensuite, demander aux élèves de faire leur autoportrait en les invitant à choisir un style unique, leur style et à se faire confiance. Les inviter, comme les peintres, à ajouter des éléments qui les représentent dans leur autoportrait. 

Demander aux élèves de présenter entre eux leur œuvre et de discuter. 

Expliquer que ce n’est pas seulement les filles et les garçons qui sont différents entre eux, chaque humain est unique. 

Former une grande guirlande d’autoportraits et célébrer l’unicité de chacun comme un cadeau! 

2. À nous deux les stéréotypes! (Cycles moyen-intermédiaire)

Au cours des prochaines activités, les élèves pourront se sensibiliser à l’équité et la justice sociale par le biais des stéréotypes de genre. Des activités concrètes, expérientielles lèveront le voile sur le sexisme dans l’histoire passée et actuelle. 

Démarche

Les droits des femmes dans le monde 

Demander aux élèves s’ils et elles connaissent la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW ou CEDEF). Elle a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979 et elle est entrée en vigueur en 1981. Elle s’inspire des principes fondamentaux qui stipulent que tous les humains sont égaux en dignité et valeurs et que les femmes et les hommes sont des personnes égales à tous les égards. 

Inviter les élèves à se questionner : 

  • Pourquoi pensez-vous que les Nations Unies ont créé et adopté cette convention? 
  • Quels sont les droits humains? 
    • Droit à l’éducation, à la vie publique, droit d’accès aux lieux publics, droit à l’alimentation, droit à la santé, droit d’avoir un toit, droit à la sécurité, droit à la vie, droit d’accès à la terre, droit à l’intégrité physique, droit de participer à la vie publique, etc. 
  • Est-ce que certaines femmes de certains pays ne voient pas ces droits respectés? Pourquoi selon vous?

En plénière, animer une discussion. 

 

 

 

 

Visionner la vidéo Top 5 Droits des femmes au Canada.

Après l’écoute, ouvrir à nouveau la discussion avec les élèves : 

  • Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans la vidéo?
  • Comment vous êtes-vous sentis en entant que les femmes ont eu le droit, en 1929, d’avoir le statut de personne selon la loi?
  • Quels sont les stéréotypes sexuels selon vous? 
  • Quelles sont les conséquences de ces stéréotypes sur vous?

Expliquer que les stéréotypes sexuels sont des représentations, des exagérations, des clichés sur les femmes ou les hommes. Les stéréotypes sont différents d’une culture à une autre. Ex. la femme-objet, l’idéal de beauté, hypersexualisation des adolescentes, publicité sexiste contre les hommes ou les femmes. 

Il reste un grand travail à faire pour démystifier le sexisme et apprendre à défaire les stéréotypes. 

À vous de jouer : Non aux stéréotypes de genre! 

Former des équipes. 

Créer ensemble des idées pour favoriser l’égalité des sexes dans l’école. Fabriquer des affiches et les arborer à des endroits stratégiques visibles pour tous les élèves de l’école. 

Exemples d’idées proposés par Gabrielle Audet-Michaud (2023) pour favoriser l’égalité des sexes au quotidien : 

  • Sois fière ou fier de qui tu es et exprime tes goûts!
  • Pratique l’inclusion dans tes équipes de travail, tes jeux, tes sorties!
  • Laisse tomber les appellations : jeu de fille, ou livre de gars, etc. 
  • Pratique le courage pour dénoncer des comportements ou des paroles sexistes. 
  • Milite pour le droit à l’égalité des sexes. 
  • Et vos idées? À vous de jouer!

Des ressources supplémentaires

Visionner Libérée, délivrée sur IDÉLLO

Référence

1  Abath, Campbell, & Pagé (2018, p.29)

Ressources

Approches féministes en enseignante et en formation (dossier spécial). Le centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine. https://cdeacf.ca/dossier/approches-feministes-enseignement-formation

Amboulé Abath, A., Campbell, M.-È. & Pagé, G. (2018). La pédagogie féministe : sens et mise en action pédagogique. Recherches féministes, 31 (1), 23–43. https://doi.org/10.7202/1050652ar

Audet-Michaud, G. et Champagne, E. (2023) Le féminisme, c’est quoi? Éditions Les malins, 31p.

Connelly, C. D. & Farmer, D. (2020). Renouveler sa posture réflexive sur l’équité et l’éducation inclusive : retour sur une initiative de formation auprès du personnel enseignant d’une école élémentaire de langue française en Ontario. Éducation et francophonie, 48 (1), 184–209. https://doi.org/10.7202/1070106ar

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979 et a été ouverte à la signature le 1er mars 1980. Son Protocole facultatif a été adopté par l’Assemblée générale le 6 octobre 1999 et ouvert à la signature le 10 décembre 1999.

Holley, L. C. et S. Steiner (2005). « Safe Space: Student Perspectives on Classroom Environment », Journal of Social Work Education, vol. 41, no 1, p. 49-64.

Pagé, G. (2019). Pouvoir, inconfort et apprentissage : les cours féministes peuvent-ils et doivent-ils être des espaces préfiguratifs et sécuritaires? Éthique en éducation et en formation (7), 8–29. https://doi.org/10.7202/1066655ar

 

Caroline Moffet | spécialiste en contenus éducatifs, TFO-IDÉLLO
cmoffet@tfo.org

Depuis plus de vingt ans, Caroline Moffet travaille dans le monde de l’éducation comme enseignante en contexte minoritaire, conseillère pédagogique, conceptrice pédagogique et spécialiste en contenus éducatifs. Elle a enseigné le français langue seconde (FLS) au Manitoba et auprès d’étudiants des Premiers Peuples. Elle a également développé du matériel pédagogique en FLS pour l’Université de Saint-Boniface et selon l’approche traditionnelle autochtone pour le Centre des Premières Nations Nikanite. Caroline a fait ses études de maîtrise en Éducation, est titulaire d’un baccalauréat en Études françaises et d’un certificat en pédagogie. Elle milite pour une pédagogie réflexive qui forme des individus créatifs et indépendants, des citoyens éveillés, engagés et heureux.