Le mouvement bricoleur : Quand la colle chaude contre-attaque!
Par Danik Forgues
Par un bel après-midi d’automne, dans une école d’Orléans en banlieue d’Ottawa, un rang d’enfants de 6 ans prend forme dans le fond du grand local qui sert d’atelier de construction et de classe de sciences. L’enseignant, un peu incrédule tente de comprendre cet engouement vers la même station : celle des fusils à colle, pourtant même les Ozobots et les Beebots n’ont pas suscité autant d’engouement auprès d’eux lors d’une activité précédente.
Que font-ils? Ils sont en attente d’aller coller 2 morceaux de carton ou de bois nécessaires à la création d’un mécanisme qui permettra à un objet de se déplacer du point A au point B. Des enfants issus d’une génération hyper techno, mais qui n’ont pourtant jamais utilisé ni colle chaude ni marteau. Le mouvement bricoleur dont j’étais un adepte convaincu venait de prendre tout son sens!
Dans cet article, je tenterai de vous faire connaître ce qu’est le mouvement bricoleur et comment cette approche permet de développer les huit attributs des bricoleurs, ainsi que les compétences transférables si importantes en cette époque de changement et d’innovation. Je vais également vous parler de comment j'ai intégré le mouvement bricoleur dans les activités d’apprentissage à l’école élémentaire publique Des Sentiers d’Orléans en utilisant le processus de design, comme outil de conception créative.
Qu’est-ce que le mouvement bricoleur
Les makerspace, les activités makers, les laboratoires de créativité, l’approche fixer etc., sont des termes de plus en plus présents dans notre vocabulaire pédagogique. En gros, ceux-ci veulent sensiblement tous dire la même chose, c’est-à-dire apprendre par la création. J’aime bien utiliser le terme mouvement bricoleur. En plus d’être en français, celui-ci peut signifier à la fois de bricoler pour créer = maker / ou de bricoler pour réparer = fixer. Ce mouvement à la mode n’a pourtant rien de nouveau. En 1980, Seymour Papert affirmait que le rôle de l'enseignant est de créer les conditions propices à la création plutôt que de fournir des connaissances toutes faites. Papert était un chercheur universitaire qui a travaillé, entre autres, avec Piaget pour développer une théorie de l'apprentissage, appelée le constructionnisme. À l’époque où il était professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Papert développa aussi un langage simple de programmation qui avait comme objectif d’améliorer la façon de penser et de résoudre des problèmes chez les enfants. Le constructionnisme de Papert affirme que le constructivisme fonctionne particulièrement bien lorsque l'apprenant est engagé dans la construction de quelque chose; c’est-à-dire une création que les autres peuvent voir, qui est authentique et concrète. Cet apprentissage par l’expérience vécue durant le processus pousse les élèves à aller chercher les connaissances nécessaires pour leur réalisation un peu partout, que ce soit auprès de leurs pairs, des membres de la communauté, sur le web, etc. Ce terrain fertile à l’expérimentation et aux découvertes fait en sorte que tout le monde vogue à son rythme.
Les huit attributs des bricoleurs et les compétences globales
Comme l’indique AnnMarie Thomas dans son ouvrage : “Making Makers”, un enfant bricoleur développe huit attributs qui lui seront utiles pour la vie. Thomas explique qu’un enfant bricoleur est curieux, imaginatif, qu’il est prêt à prendre des risques, assume la responsabilité, est persévérant, ingénieux, partage volontiers et est optimiste.
Le développement des compétences globales, c’est-à-dire, la résolution de problème et la pensée critique, l’innovation, la créativité et l'entrepreneuriat, l’apprentissage autonome, la collaboration, la communication et la citoyenneté sont de leur côté l’une des priorités du CMEC (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada). Il s’agit d’un projet pancanadien visant à préparer les jeunes à faire face à un avenir complexe et imprévisible et à des contextes politiques, sociaux, économiques, technologiques et écologiques en rapide mutation. Il est de plus en plus reconnu que les compétences globales constituent des outils qui aident l’élève à s’adapter à diverses situations et à poursuivre ses apprentissages sa vie durant.
Comment j'ai intégré le mouvement bricoleur dans les activités d’apprentissage à l’école élémentaire publique Des Sentiers d’Orléans en utilisant le processus de design, comme outil de conception créative.
Cette année, à l’école, le mouvement bricoleur fut utilisé de pair avec le processus de design (design thinking), une méthode de gestion de l'innovation élaborée à l'université Stanford aux États-Unis dans les années 1980 par Rolf Faste.
Je demandais donc toujours aux élèves d’utiliser leur cahier de design pour, premièrement identifier le problème ou le besoin auquel ils faisaient face, puis pour faire un remue-méninge d’idées pour résoudre ce problème. Par la suite, ils devaient élaborer leur plan de création. Une fois celui-ci validé, les élèves pouvaient passer à la prochaine étape, c’est-à-dire créer leur prototype, puis le mettre à l’essai. Si leur test était concluant, il pouvait alors peaufiner leur prototype pour en faire une version finale. Ils terminaient le processus en le présentant à leur camarade. Le mouvement bricoleur a pris forme à l’école cette année à l’aide de trois médiums différents : la construction, les montages vidéo et la programmation robotique. Il est important de noter que le même processus de création a été observé peu importe le médium utilisé.
Le cardboard challenge (5e année) : Inspiré d’un défi mondial annuel, les élèves devaient, en équipe, créer, à l’aide de carton recyclé, des jeux d’arcades et animer une foire. J’avais fait un lien avec structure et mécanisme au niveau du curriculum de sciences.
La maquette animée (1re année) : Dans le cadre de leur cours d’études sociales, les élèves devaient construire une maquette de leur communauté et de leur environnement. Par la suite, pour rendre le tout vivant, les élèves ont fait un montage vidéo dans lequel ils décrivaient les différents éléments de leur maquette.
La réalité virtuelle (6e année) : Les élèves devaient créer à l’aide d’un logiciel de réalité virtuelle, l’écosystème d’un animal en sciences.
En conclusion, dans un enseignement axé sur la création, l’enseignant devient alors un coach prêt à accompagner chaque élève selon son propre rythme. La collaboration et le leadership partagé sont également énormément présents lors de ces périodes de création. Le signe le plus visible de l'apprentissage des élèves dans la classe centrée sur le bricolage est de voir les élèves essayer de comprendre les choses par eux-mêmes, en particulier par essai, erreur. De plus, j’ai remarqué un plus grand engagement de tous dans un tel environnement, peu importe leur point de départ.
Danik Forgues, EAO
Enseignant lead en innovation pédagogique
Spécialiste de sciences et technologies