Entrevue
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Enseigner aux élèves à être heureux : de la santé globale à la conscience sociale

Pour Julie Meloche, être enseignante, c’est plus que d’amener les élèves à comprendre la matière ou obtenir de bonnes notes : c’est avant tout leur enseigner à être heureux, à être bien et à contribuer à la société. Annie Bourdeau, notre spécialiste de contenu éducatif, a eu le plaisir de s’entretenir avec cette enseignante formidable. Elles discutent de santé globale, de la notion de succès, de bienveillance et de conscience sociale.

Si tu pouvais décrire en un mot ou deux une valeur qui est importante pour toi dans ton quotidien d’enseignante qu’est-ce que ce serait?

Je dirais la santé. La santé globale. La santé individuelle et la santé de la communauté aussi. Quand je dis ‘’globale’’, je parle de toutes les facettes de la santé : émotionnelle, mentale, spirituelle, sociale et environnementale. C’est ‘’ma santé’’ et ‘’notre santé’’. Si je m’occupe de ma santé, je suis plus apte à pouvoir aider les autres. Ça commence avec soi. C’est beaucoup plus que de faire de l’exercice à tous les jours. Est-ce que tu as des relations saines? Est-ce que tu as une communauté vers qui te tourner? Il y aussi la santé spirituelle dont on ne parle pas beaucoup. Plusieurs de nos jeunes ne s’identifient plus à la religion. Donc ils ont besoin d’une autre source d’espoir, de confiance, de raison d’être. D'après moi, ça aussi, ça fait partie de la santé. Je me sens accomplie. Je suis satisfaite dans la vie.

Pourquoi penses-tu que c’est important de considérer la santé globale comme enseignant.e?

C’est la base d’une belle société, d’une société qui est stable, en équilibre. Si on a un animal dans l’écosystème qui est malade, bien ça va affecter tout l'écosystème. C’est la même chose pour les humains. C'est sûr que souffrir fait partie de l'expérience humaine, c’est de reconnaître ça aussi. Mais, pour être ouverte aux autres, je dois être la meilleure version de moi-même et être assez bien dans ma peau.

Et on le sait, pour les élèves, être bien les aide à être plus réceptifs à apprendre. C’est pourquoi je pense qu’il faut être amenés à redéfinir le succès avec eux. Ça veut dire quoi le ‘’succès’’? Est-ce surtout avoir de bonnes notes? J’essaie d’amener les jeunes à reconnaître leurs forces, à reconnaître leurs défis, les accepter et aussi de se mettre des attentes personnelles, d’avoir plus d’empathie envers eux-mêmes.

À ton avis, qu’est-ce qu’une éducation bienveillante et en quoi c’est important?

Quand je pense à la bienveillance, la priorité devrait être la relation que tu développes avec l’élève. Parce qu’un enfant qui n’est pas bien dans ta classe n’apprend pas. Et pour être bien, il doit se sentir vu, accepté, aimé et valorisé. C’est l’élément le plus important de tout ce qu’on fait. Pour être de bons leaders, de bon pédagogues, il faut être en mesure de tourner la loupe sur soi-même. Il faut être en mesure de reconnaître ses biais, ses limites. Ce qu'on projette sur les autres. Quand on a un conflit avec un élève, c’est toujours de tourner la loupe sur nous-mêmes. Il faut avoir un désir de s’occuper de soi, de s’améliorer. L’élève doit ressentir que tu es dans le même cheminement que lui ou elle. Je pense que quand on est dans cette quête de transformation, en tant que leader, ça se fait ressentir. Et la bienveillance vient naturellement.

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Comment favorises-tu le vivre-ensemble avec les élèves?

C’est sûr que les élèves nous arrivent avec des préjugés, des construits sociaux - tout comme nous-mêmes d’ailleurs. Il y a possibilité que l’élève dise des commentaires avec lesquels nous ne serons pas d’accord. C’est de reconnaître que le jugement vient de quelque part et de transformer nos jugements en curiosité. Ça c’est un jugement. Pourquoi tu penses ça? 

C’est aussi d’amener l’élève à questionner et à en parler. Un aspect central de mon enseignement est de poser des questions et d’enseigner sous forme de discussions. Malheureusement, on ne fait pas assez ça dans la société, prendre le temps d’échanger sur des sujets controversés. Et le résultat? Et bien, il y a pleins de conflits. Il faut apprendre à se parler. Le développement de l’habileté de la pensée, la créativité, la pensée critique et la capacité de réellement écouter ce que l’autre a à dire sans planifier ma prochaine réponse. Juste être présent avec ce que l’autre personne me partage. Je vois ma classe et l’école comme une mini-société. Tout le monde doit se sentir vu, entendu, valorisé par leurs pairs, pas juste par l’enseignante.

Peux-tu nous expliquer un peu plus comment ça peut se vivre concrètement, l’enseignement par discussions?

J’aime beaucoup cette notion qui vient de SEVE, Savoir, être et vivre ensemble. C’est une fondation qui a été démarrée par le philosophe Frédéric Lenoir et qui veut faire en sorte que les élèves se développent non seulement au niveau académique mais aussi au niveau humain. L’idée est d'amener les enfants à discuter autour de questions philosophiques, adaptées à leur âge. D’abord, ils lisent un texte dans lequel des enfants discutent. Ensuite, on met les élèves en dyades et ils composent des questions selon la discussion que les deux jeunes ont eue dans l’histoire. Ça peut être, Est-ce qu’il y a des bons ou des mauvais leaders? ou Est ce que la nature humaine, elle est à la base bonne ou mauvaise ou les deux? C’est une question existentielle, qui est commune, centrale à nos vies et contestable. Les élèves choisissent eux-mêmes la question qu’ils veulent débattre. C’est aussi super important qu’ils soient en cercle. Moi je facilite, pour alimenter la discussion dans une direction ou dans l’autre. À la fin, je pose toujours la question : Est-ce qu’on a répondu à la question? Les élèves adorent ça. Et l’important c’est que la question vienne d’eux. C’est une activité qui s’adapte très bien à tous les niveaux de développement, ce n’est pas juste pour les jeunes du secondaire.

Est-ce que tu peux nous parler d’une initiative de bienveillance que tu as entreprise à ton école?

Quand j’enseignais l’unité de santé en 12e année, je faisais toujours un projet du bonheur. Essentiellement, les élèves avaient un défi par semaine. Le défi pouvait être méditer, faire un acte de bonté aléatoire, faire le ménage de leur chambre, s’exprimer avec les arts. J’avais quinze défis et j’en faisais un par semaine. Les élèves ont tout de suite embarqué! À chaque vendredi, on fait un retour sur la semaine précédente. On en parle, on partage. Ensuite, je présente le nouveau défi avec des trucs, des faits entourant l’importance du potentiel d’apprécier tous les petits moments.

Est-ce que tu peux nous parler du programme Focus action sociale?

Les Focus, ce sont des programmes qui existent dans mon conseil scolaire. Il y avait un peu d’ouverture de ce côté-là pour créer un programme différent. J’ai repris les valeurs et l’inspiration de mon projet du bonheur et j’y ai ajouté la composante communautaire. Focus action sociale, c'est donc un programme de développement de soi et de développement communautaire. C’est un programme intensif où les élèves sont sortis de leur école secondaire et poursuivent leurs apprentissages dans la communauté pour un semestre. Nous sommes à l'Université Saint-Paul à Ottawa puisqu’on a un partenariat avec eux. J'enseigne un cours de leadership et un cours d'équité et justice sociale. Les élèves complètent leur coop dans un organisme de la région d'Ottawa. Cela peut être dans un centre pour sans-abris, à la banque alimentaire. Il y en a qui veulent devenir enseignants ou enseignantes, donc ils peuvent aller dans une école. Ils choisissent un coop selon leur intérêt et à toutes les semaines, ils y vont. Dans le cadre de mes cours de leadership et d’équité et de justice sociale, on a beaucoup de discussions. On aborde des théories et des concepts comme, C’est quoi le privilège? C’est quoi l’identité? On parle de racisme, de sexisme, de construits sociaux, des rôles des différents types d’organismes à but non lucratif versus un organisme privé. On suit ce qui se passe dans l’actualité. À partir de là, on va décortiquer ces thématiques qui sont hyper complexes, cette énorme zone grise. Il y a beaucoup d’invités qui viennent en classe et plusieurs sorties dans la communauté. Les élèves sont avec le même groupe durant tout le semestre, ça c’est puissant aussi pour créer un lien entre nous. Le but est de développer leur curiosité, de les amener à questionner le statu quo et à prendre de la confiance dans la personne qu’ils sont.

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Comment est-ce qu’on peut faire de nos élèves des citoyennes et des citoyens engagé.es et éveiller la conscience sociale chez eux?

En utilisant l’actualité! Et quand on parle d’actualité on parle de ce qui se passe dans la classe, à l’école, dans la ville, dans la province, au Canada, dans le monde, comme point de départ pour aborder les construits sociaux et les préjugés qui nous façonnent, incluant ceux de l’enseignant ou l’enseignante. Ça amène les élèves à reconnaître les murs qui nous divisent, à se responsabiliser à reconnaître le racisme, le sexisme, la xénophobie, l’homophobie et à dénoncer les injustices. On reconnaît notre privilège aussi. Reconnaître les personnes dans notre entourage qui sont marginalisées et notre responsabilité dans tout ça. Reconnaître la souffrance chez tout humain. Peu importe où tu te retrouves, il y a une certaine souffrance. En explorant ce genre de thématiques, qui ne sont pas toujours faciles à aborder avec nos élèves, on les amène à développer la compassion. On entend souvent que la nature humaine est compétitive, que c’est la loi du plus fort. Mais il y a plein de recherches qui prouvent qu’on a tous un côté empathique et que c’est nécessaire de développer ce côté et de le reconnaître. Il en va de notre survie! Si on ne collabore pas, on ne va pas bien loin. Ensuite, il faut amener ça dans l’action. Là, les élèves le vivent, ils se sentent bien parce qu’ils ont aidé une communauté marginalisée. Tu vis ce que c’est que d’être un citoyen ou une citoyenne engagé(e).

Les 5 trucs de Julie pour pour éveiller la conscience sociale chez les élèves

1. Incorporer des « Blitz d’actualités » dans ses leçons quotidiennes

À tous les jours, prendre quelques minutes pour parler d’affaires courantes. Que se passe t-il dans notre ville? Dans notre pays? À l'international? Leur fournir une plateforme de nouvelles crédibles et les inviter à explorer, à questionner, pour ensuite échanger leurs perceptions, leurs opinions et l’évolution de leur pensée en groupe classe.

2. Transformer nos jugements en curiosité

Amener les élèves à reconnaître leur préjugés et leurs suppositions en cultivant le questionnement, l’ouverture et la réflexion sur ses croyances et ses valeurs. Afin d’encourager ceci chez nos élèves, il ne faut pas oublier que le travail commence avec soi. En tant qu’humain, nous sommes constamment en apprentissage et les élèves doivent le savoir. Il ne faut pas avoir peur d’être vulnérable!

3. Incorporer des « Blitz d’actualités » dans ses leçons quotidiennes

Inviter dans sa classe des intervenant.e.s communautaires, qui œuvrent dans des organismes de bienfaisance, qui luttent pour la justice sociale au quotidien, afin d’échanger avec ses élèves. Plus encore, amener sa classe pour une journée de bénévolat dans la communauté (ex: centre pour personnes sans abri, banque alimentaire).

4. Je suis parce que nous sommes

Faciliter les échanges afin que les élèves réalisent que nous vivons dans un monde interconnecté, que nos paroles et nos actions affectent autrui. Encourager les discussions de groupe sur des sujets contestables, qui sont communs et centraux à l’expérience humaine. En plus de travailler la pensée critique, ceci les amènera à développer leur pensée attentive et le respect pour des idées et des valeurs qui diffèrent des leurs.

5. Démontrer que tu as leur bien-être à cœur

Prendre le temps de leur poser des questions sur leur vie tout en démontrant un intérêt sincère et une écoute attentive. Jaser de tout et de rien, rire avec eux, être présent.e, tout simplement. Si ils.elles se sentent aimés et accueillis, ils.elles seront plus portés à faire de même avec les personnes qui croiseront leur chemin.

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Julie Meloche est enseignante au secondaire au sein du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est à Ottawa depuis 2009. Avant de joindre la profession enseignante, elle a étudié en sciences, ce qui l’a amenée à enseigner la biologie, l’éducation physique et la santé au début de sa carrière. Elle s’occupe du programme Focus action sociale depuis maintenant quatre ans.

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