La bienveillance, mode d’emploi

Une posture professionnelle en devenir

Par Julie Higounet, pour le Réseau ÉdCan

Publié depuis 1949, le magazine Éducation Canada est considéré comme une des sources les plus fiables de discussions d’apprentissage professionnel fondé sur les données probantes au sujet de certains des enjeux les plus complexes auxquels sont confrontés les éducateurs d’aujourd’hui.

La bienveillance revient de façon récurrente dans les discours, les textes et les programmes.  Devrait-on y voir une carence en matière de bien-être de l’élève? Peut-être. C’est en tout cas ce que révèlent de nombreuses études sur le système scolaire à l’international.

Jose Luis Pelaez Inc / DigitalVision via Getty Images

Ce sentiment de mal-être est malheureusement corrélé à la baisse quasi systématique des résultats en français et en mathématiques depuis quelques années et tend à renforcer des inégalités et de l’anxiété chez une grande partie des élèves. Et sans confiance, une résilience moindre (Algan et coll., 2018) pour apprendre. Derrière des pratiques de classe encore très hétérogènes sur ce que peut être la bienveillance en classe, bien des malentendus et des quiproquos sur les attendus professionnels demeurent. Pourtant, le lien entre environnement affectif favorable et construction du cerveau (Toscani, 2020) est aujourd’hui bien connu mais les pratiques qui en découlent peuvent encore rester opaques pour certains et certaines.

Le cadre de la bienveillance avant tout intellectuel, mais aussi émotionnel et matériel propice aux apprentissages se décline en trois axes : la différenciation, l’évaluation et le suivi des élèves. Avant de pouvoir entrer sur ces trois axes, un point majeur à penser; le regard sur l’élève. Impossible de différencier, d’évaluer ou de suivre correctement les élèves sans les connaître, sans savoir ce qui les intéresse, les anime ou les ennuie et ouvre les portes à leur résilience.

Or ce n’est pas toujours sous l’angle du regard porté à l’élève et de sa connaissance en tant qu’individu singulier que les rentrées scolaires se font. On applique et on met en œuvre des méthodologies et des dispositifs sans penser d’abord à la qualité de la relation. Si je ne sais pas qui est l’Autre comment m’adresser à lui correctement ? Et pour apprendre à connaître, la question de l’intention derrière le regard porté est fondamentale.

Le postulat d’éducabilité est central, « Un regard qui scrute pour trouver la marque du manque impose à l’enfant un statut péjoré. Un regard qui ne cherche en l’enfant qu’un devenir instaure une dynamique de rencontre » (Henri Wallon). Alors comment ancrer une observation positive au quotidien qui sorte des seules vérifications, corrections et filtrage par l’erreur ? Comment enclencher avant toute traque des dysfonctionnements, une observation attentive absoute de tout préjugé ou jugement de valeur ?

Étape 1

PRENDRE NOTE AU QUOTIDIEN (SE CENTRER SUR DEUX ÉLÈVES PAR GROUPE, PAR SEMAINE)

Le préalable à cette bienveillance mise en action réside déjà dans la volonté et la capacité de savoir regarder ce que l’élève est. Ses points forts, ses habitudes, ses attitudes. Apprendre à découvrir ses liens avec les autres élèves et avec son environnement est un incontournable pour comprendre les dynamiques de classe et faire fonctionner correctement le collectif.

Il est en principe facile de noter ce que l’on observe à condition d’en prendre le temps. Pour aller plus loin, se fixer des contraintes peut aider à voir autrement les élèves. Une grande différence dans le regard porté sur l’élève peut résider dans l’obligation de se fixer l’objectif de noter exclusivement les éléments positifs et de les lister scrupuleusement.

  • Le comportement individuel, par rapport au groupe, par rapport aux adultes (aide, initiative, échanges, actes de collaboration spontanés…)
  • les prises de parole de l’élève; des attitudes face à la tâche donnée, face à l’apprentissage (résilience, essai, prise de risque…)
  • les actions de l’élève; les procédures, les stratégies de l’élève dans l’activité (capacité à faire des liens, à coopérer, à se rappeler, à s’engager, à créer…)

Pour réellement prendre le temps de découvrir ce qui n’est pas accessible au premier coup d’œil (actes de générosité spontanée, de prise d’initiative…), concentrer son attention sur peu d’élèves en même temps est déjà un gage de réussite de cet exercice. Le regard particulier porté sur deux élèves par semaine dans un groupe, inscrit dans le quotidien du suivi ordinaire de chacun, semble un objectif déjà largement ambitieux. Cela signifie que même et surtout pour les élèves qui ne sont pas dans le cadre de ce que l’école exige d’eux, l’enseignant va prendre le temps de muscler son aptitude à adopter un regard positif. Ce sera l’occasion également de comprendre et d’apprendre à passer outre certains freins qui peuvent nuire à la qualité de la relation.

Finalement, se concentrer sur deux élèves par semaine dans un groupe, c’est consacrer deux semaines d’observation entière pour chacun, au cours d’une année.

Étape 2

DISCUTER AVEC LES ÉLÈVES DES OBSERVATIONS POSITIVES EN ENTRETIEN INDIVIDUEL

Recevoir une rétroaction concrète, complète et conséquente fait partie intégrante de l’apprentissage. Un retour constructif et positif aide les élèves à apprendre en les engageant plus fortement dans leur quotidien d’apprenant. Les élèves ne doivent pas seulement entendre parler des erreurs, ils ont besoin de savoir où ils en sont dans leur connaissance des concepts, s’ils ont amélioré certains points, et où ils se situent par rapport aux objectifs de ce sujet ou de ce travail. Ils ont également besoin de voir clairement leurs forces. Mais pour dépasser les commentaires génériques tels que « bon travail » ou « continue à travailler dur » qui sont positifs, mais non significatifs, les temps d’observation longs représentent une aide précieuse pour noter ce qui est à valoriser, ce qui représente un levier dans leurs apprentissages ou une source de motivation intrinsèque. Les commentaires positifs aident les élèves à renforcer leur confiance en eux et leur motivation, et facilite surtout la connaissance qu’ils vont développer de leurs propres modes de fonctionnement. Les commentaires significatifs fournissent des éléments qui aident les élèves à devenir des apprenants autonomes et résilients. Ils savent par quels chemins passer, lorsque les défis sont là. Enfin, se centrer uniquement sur des éléments significativement positifs peut éviter les altérations du message envoyé lorsqu’il est automatiquement contrebalancé dans la foulée par des remarques pointant les manquements. Le « c’est bien, mais… » peut ruiner tout un entretien individuel en entraînant l’élève malgré lui vers une attention exclusive portée à ce qui fait défaut.

Étape 3

COMMUNIQUER AVEC LES FAMILLES PAR ÉCRIT POUR GARDER TRACE

La richesse des observations au long cours réalisées par l’enseignant ou l’enseignante peut représenter le socle d’un dialogue constructif et positif avec les familles. Encore aujourd’hui, les familles peuvent n’être jointes par l’établissement scolaire ou le personnel enseignant que dans le seul objectif de parer aux difficultés rencontrées. Pour certains élèves, le positif n’existe pas. La communication reste centrée sur des incidents ou les obstacles rencontrés.

La communication positive est pourtant l’outil le plus significatif pour engager les familles dans une relation de co-éducation constructive. Une bonne communication permet d’informer, de rassurer et d’intéresser les parents. Une seule conversation, qu’elle soit positive ou négative, peut donner le ton et influencer l’opinion qu’une famille a de l’établissement ou de l’enseignant ou l’enseignante et inversement.

Une communication et des relations positives avec les familles contribuent à instaurer la confiance. Cette confiance est un élément important pour s’assurer qu’un partenariat est bien présent pour travailler en équipe et aider les enfants à atteindre leurs objectifs et à effectuer leurs apprentissages sereinement.

Alors après une semaine complète d’observation, la réception d’un message de la part de l’enseignant ou de l’enseignante qui n’a d’autre objectif que de donner le meilleur de ce qui sera réalisé et noté en classe sera la bonne surprise qui pourra permettre aussi à certains parents de voir autrement leur enfant et d’être un levier d’une communication renouvelée entre les élèves et leur famille.

Conclusion

La bienveillance comme posture professionnelle est un incontournable qu’il n’est pas toujours facile de mettre en application.

Prendre le temps de poser un regard positif systématique sur chaque élève en listant au quotidien les réussites, les progressions, la résilience, l’initiative, les interactions pour aider, accompagner, amène à développer une croyance forte en l’éducabilité de chacun et chacune.

Prendre le temps de communiquer ces observations positives aux élèves, c’est leur montrer qu’ils sont pleinement considérés, c’est leur dire autrement qu’ils ont une place particulière et qu’ils existent individuellement au sein du groupe classe. Tout cela favorise le sentiment de sécurité affective si propice aux apprentissages.

Enfin, prendre le temps de communiquer aux familles par écrit, c’est l’assurance d’un dialogue porteur et d’une inclusion de fait à la communauté éducative. C’est aussi parfois casser la chaîne de communication depuis toujours centrée sur le problème ou la difficulté.

Tout ceci n’est pas inné et demande des efforts, autres que ceux portés à la programmation des contenus et à la construction des activités ou des évaluations.

C’est par là que tout devrait commencer, apprendre à observer pour trouver le meilleur en chaque élève et les révéler à eux-mêmes.

Références

Gueguen. C, (2018). Heureux d’apprendre à l’école. Les Arènes, Robert Laffont.

Robinson. K. et Aronica, L. (2009). Finding the element. Penguin Publishing Group.

Saillot.E., Piot.T. (2018). La bienveillance en éducation : approches compréhensives et critiques, Questions vives, 29. doi.org/10.4000/questionsvives.3001

Morin.V. (2020). Mathématiques : la France, dernière élève des pays européens. Le Monde. Publié le 8 décembre 2020 à 10 h 10 – Mis à jour le 8 décembre à 13 h 20 Mathématiques : la France, dernière élève des pays européens (lemonde.fr)

Algan.Y., Huillery.E. et Prost.C.(2018). Confiance, coopération et autonomie : pour une école du xxie siècle. Cairn info.

Toscani, P. (2020). Les conditions propices aux apprentissages. Mission Laïque Française.

Julie Higounet | Responsable en ingénierie de formation, Mission Laïque Française

Julie Higounet est responsable du pôle de développement professionnel de la Mission laïque française. Après des missions d’enseignement et d’encadrement à l’international, l’accompagnement des équipes d’établissement en milieu plurilingue et multiculturel représente aujourd’hui le cœur de son questionnement.

AUTRES Articles DE LA THÉMATIQUE

Développer les habiletés sociales chez les élèves ayant un trouble sévère d’apprentissage

Les émotions et l’apprentissage informel dans les musées

Apprendre à se connaître par la musique, c’est possible?