Passeuse de culture au Yukon

Par Josée Fortin

Nous sommes tous des passeurs de culture chacun à notre image : dans notre manière de manger, de rire, de dire, de chanter, de pleurer.
Nous sommes tous des passeurs de culture : dans notre accent, nos amis, nos goûts.
Nous sommes tous des passeurs de cultures : dans nos rites et notre imaginaire, à la fois collectifs et personnels.
Même sans savoir, nous sommes des passeurs de culture : on échange toujours un peu de ce que nous sommes dans chacune de nos interactions. Avec les professions sociales, comme celle de professeur ou d'éducateur, cette notion est encore plus présente, voire au cœur de ces métiers. 

Je m’appelle Josée et je suis une passeuse de culture au Yukon. Dans ce texte, je vous en explique les raisons. 

Mon chemin jusqu’au Yukon

Je crois toujours avoir été avide de cultures, d'échanges, de connaissances, depuis mes premiers pas.
Native du Lac-Saint-Jean (Pekuakami) au Québec, j'ai quitté il y a presque 13 ans Montréal pour retrouver une nordicité différente. Je suis devenue professeure de francisation, unilingue à l'époque, curieuse de partager mon moi pour rencontrer l'autre, ici au Yukon.  

Comme nous sommes façonnés par notre héritage culturel, j'essaie de partager le mien, dans ma langue bien nordique de francophone d'Amérique, métissée de cultures européennes et autochtones. Cela se traduit par mon métier d'artiste multidisciplinaire et d’enseignante dans une école Montessori, pour les 3 à 13 ans, au fin fond du Yukon.

Dans ma petite école Montessori

La clientèle que je dessers est majoritairement anglophone, en partie constituée de familles exogames de diverses cultures (asiatique, autochtone ou européenne), mais avec plusieurs descendances françaises d'Amérique. Comme nous avons des écoles françaises langue première et d'immersion française aussi (le territoire est officiellement bilingue), le choix d'une éducation privée alternative fait en sorte que même si le français est offert dans nos classes en même temps que l'anglais, nous accueillons moins de familles francophones. Plusieurs enfants portent des noms de famille francophones comme Chevalier, Lajeunesse ou Savard. Malgré plusieurs parents ou liens familiaux francophiles, la langue et la culture francophone se sont perdues au fil des générations. 

Voilà les raisons pour lesquelles j'ai développé mon propre curriculum basé sur la philosophie Montessori, ses matériaux et l'approche holistique pour transmettre ma culture. Voici quelques idées qui illustrent  ma passion à transmettre.

L'approche holistique au jour le jour

La philosophie Montessori est parfaite dans mon cas pour préconiser une approche holistique et pour être une passeuse de culture. Comme l'environnement direct est la source de l'inspiration, j'offre aux petits de 3 à 6 ans une immersion dans la langue de Molière, mais version d'Amérique. Je fais rencontrer la culture dont j'ai hérité avec les arts et savoirs traditionnels, qu'on peut qualifier d'autochtones ou ancestraux, selon notre point de vue. Pour toutes ces activités, la nature est mon outil premier. 

Voici quelques exemples que nous faisons en classe :

Balade en raquettes

Chaque matin, deux fois par semaine, nous partons en raquettes. Puisque nous sommes situés en ville, mais à côté du fleuve Yukon et d'un grand parc, il est facile d'aller se promener. 

En demandant aux parents qui avaient des raquettes pour enfants et à l'école un budget, j'ai pu amasser le nombre de raquettes nécessaires pour profiter des joies hivernales. Cela m'a permis de valoriser ce sport qui était, avant le hockey, le sport national et un moyen essentiel de déplacement. Aucun entraînement n'est requis et les enfants adorent. 

Balade en français

Je fais la French Walk, c’est-à-dire de la randonnée en français, chaque après-midi. J'enseigne aux enfants les noms des plantes que l'on cueille à l'automne et au printemps, en plus du vocabulaire courant.

Rien de bien compliqué, des consignes claires comme marcher, courir, revenir, cueillir, le nom des oiseaux, des arbres, etc. Il est important de s'acheter des livres de référence sur les plantes. 

Mon petit herbier 

Ensuite, nous revenons à l'école faire notre petit herbier. Nous collons les plantes, feuilles, branches sur des feuilles et nous cherchons leurs noms pour ensuite les écrire ou les dessiner. 

Les enfants apprennent donc comment cueillir les plantes comestibles, les nettoyer, les infuser ou en faire des onguents avec de la cire d'abeille. Je me suis réapproprié ce savoir perdu à la génération de ma grand-mère pour permettre le passage de ce savoir aux générations futures. Cela peut paraître complexe, mais avec un peu de temps, il est facile de faire un thé aux pissenlits succulents ou une pommade de base à l'achillée millefeuille.

Ateliers culinaires 

Je fais aussi des ateliers culinaires avec mes élèves. Au lieu de créer une mousse au chocolat, ils apprennent à faire une mousse au rosier sauvage. Nous allons au matin cueillir ce qu'il nous faut, en plus d'aller se dégourdir les jambes. 

Nous suivons les saisons, avec ce que Dame nature nous offre, comme lorsque moi, j'étais petite. J'essaie de leur transmettre le nom scientifique et le nom joual, franco-canadien. C'est important pour moi de transmettre la langue française d'ici, car elle est belle et différente de celle d'Europe. Il est important d'être fier de son histoire linguistique, car elle est intimement liée à celle de notre culture.

Ateliers sur les animaux du Yukon 

Comme tout le monde le sait, les enfants adorent les animaux. J’ai donc créé du matériel avec des animaux issus de la faune d'ici pour jouer et apprendre le nom des animaux en même temps.

Coin couture d’ici 

Une autre facette culturelle de mon travail est la mise en place du coin couture, ou arts traditionnels. Chaque semaine, nous apprenons à tisser, broder, coudre, feutrer la laine, pour faire des oreillers, chapeaux, poupées, bandeaux. 

Tout ce qui peut être fait est fait, et contrairement à ce que l'on pense, un enfant exposé aux aiguilles dès 3-4 ans ne la mangera pas si on lui montre comment s'en servir. Ici encore, ma culture québécoise du tissage est bien vivante et elle se transmet avec curiosité et bonheur. Je me suis procuré des petits métiers à tisser, inspirés par ceux de mes tantes et mes couvertures héritées par mes arrière-grands-mères. D’où je viens, hommes et femmes savaient recoudre un bas de culottes. Je veux la même chose pour mes élèves, car en plus de développer leur fierté de créer et réparer eux-mêmes des choses, le développement de la motricité fine et de la dextérité, sont mis de l'avant. C'est assez facile ensuite de faire tenir un crayon et d'enseigner l'écriture ou le dessin. De plus, lorsque nous sommes plusieurs à coudre, nous fredonnons des airs que j'enseigne aussi. La chanson est un puissant moteur de transmission.

La voix et la musique comme moteurs 

Lorsque nous apprenons notre langue maternelle, tout est question d'imitation et de reproduction de sons dans le but ultime de communiquer. La phonétique est primordiale dans mon programme et je travaille beaucoup cet aspect pour donner confiance aux enfants en leur capacité cognitive et sociale. 

Comme l'enfant cherche à communiquer, si on lui fait vivre des expériences positives dans une culture minoritaire, il pourra l'intégrer et cela deviendra une partie de lui-même au fil du temps. 

Chanter est l'un des moyens que je préconise. Pour ce faire, je crée des chansons virelangues qui racontent des faits ou petites histoires, basés sur les phonèmes francophones, ainsi que des jeux de sons, pour ensuite aller aux syllabes et mots complets. Par exemple, j'ai créé la comptine du son P et AN : Le pique du porc-épic ne pique pas et Dans ta tente, ta tante t’attend

De plus, inspirée de ma majeure en théâtre en Arts et lettres au cégep, j'ai décidé d'utiliser ces techniques de prononciation pour adultes en version enfant. Sans musicalité, les enfants accrochent moins, mais en comptines, c'est une belle manière d'apprendre les sons, le vocabulaire et la poésie en même temps. Je leur dis que nous slammons. J'opte en revanche pour des chansons d'ici quand nous ne slammons pas,  comme Feu, feu, joli , V'la le bon vent ou La belle Rose de Fred Pellerin.

Également, je fais chaque semaine un cercle de musique avec des percussions. Nous pratiquons nos chansons en pulsation et harmonie, deux bases musicales qui sont de bons outils pour créer. Enrichir le vocabulaire passe par le sensoriel dans une classe Montessori. La musique est une excellente façon d'être un passeur de culture, car elle est souvent l'essence même qui nous les fait découvrir. 

Faire vibrer la culture

Le Canada français regorge d'une culture riche, métissée et vivante. Il m'est facile de la partager, car je l'aime. J'y suis enracinée et je veux continuer à faire germer les graines du futur pour garder notre forêt franco en santé. Et pour ce faire, la culture est essentielle, car si vous ne la faites pas vibrer en tant que francophone ou francophile, qui le fera pour vous et pour la génération qui suivra?

Josée Fortin 

Joe La Jolie, alias Josée Fortin, est une artiste multidisciplinaire qui a cumulé diverses études en arts, animation, littérature et intervention. Elle mène une carrière artistique en cirque, écriture, maquillage corporel et plus encore. Native du Québec, elle demeure au Yukon depuis plus d'une décennie et a comme double carrière celle de professeure de francisation à la Yukon Montessori School qui offre une éducation alternative pour les enfants de 3 à 13 ans.

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