Entrevue
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Approche expérientielle ou l’art de devenir des architectes de l’interaction

Entretien avec Denis Cousineau

Nous avons rencontré Denis Cousineau, un sage, un fin stratège pédagogique et nous lui avons demandé de nous partager sa compréhension profonde de ce que représente l’approche expérientielle en classe. Il nous a dit que c’était un art.

Comment es-tu devenu un enseignant qui pratique une approche expérientielle?

Nous, enseignants, nous sommes formés pour être des experts de matière, des experts de contenus. Lorsque j’ai commencé, mon objectif central était concentré sur le contenu. Je devais enseigner le même contenu que les autres enseignants, avec le même rythme parce que nous avions les mêmes examens. Je savais que j’aidais les élèves à améliorer leur langue, mais je n’avais pas réfléchi au comment. J’avais une seule cible : le contenu d’histoire, mais dans une classe d’immersion. Je n’avais pas fait de choix d’approche pédagogique. Par contre, j’avais remarqué que lorsque les élèves faisaient de l’histoire ou de la géographie, ils s’amélioraient plus en français que dans notre cours de français. Ils s’exprimaient sur des enjeux comme la guerre, la grande dépression, des sujets qui les touchaient. Ils étaient libres de s’exprimer et n’avaient pas peur de faire des fautes.

 

Klaus Vedfelt / DigitalVision via Getty Images

Pourquoi les mêmes élèves avaient plus de facilité à s’impliquer dans les cours d’histoire que dans les cours de français?

L’inquiétude dans la performance brime la confiance des élèves. Lorsque j’ai réalisé cela dans ma classe d’histoire, j’ai compris que lorsqu’ils étaient concentrés sur leur performance, ils se faisaient moins confiance et apprenaient moins. Or, en histoire, la cible n’est pas la production langagière, mais la compréhension et l’explication des événements. Dans mes cours d’histoire, ils s’exprimaient et vivaient quelque chose de vrai qui était arrivé dans la vraie vie. C’est là que j’ai commencé à comprendre que le but était de leur faire vivre des expériences réelles, authentiques aux élèves.

Comment as-tu intégré cette approche concrètement dans ton enseignement?

À cette époque, il y avait une série qui s’appelait Fortier. Ils adoraient cela. Ils en parlaient et ils s’exprimaient en français à la suite des visionnements. C’est là que j’ai commencé à prendre conscience que ce qui les touchait vraiment dans leur vie permettait une implication naturelle de leur part. J’ai alors intégré de la culture, les films, la musique en classe. L’art c’est expérientiel parce que l’art touche les sens. Par exemple, je prenais une chanson de Laurent Voulzy ou une autre chanson que les élèves aimaient et je les invitais à faire un récit numérique sur leur compréhension de la chanson avec PowerPoint et devaient présenter leur chanson, dire pourquoi ils l’aimaient et faire discuter les autres sur cette chanson.

Est-ce que pour toi, la vérité, l’émotion sont les fondements de l’approche expérientielle?

Je mettrais le mot «engagement» aussi dans l’équation. Parfois, le français et les maths sont vus comme un fardeau pour les élèves. Mais lorsque les enseignants réussissent à trouver des trucs vrais, des trucs émotifs qui les touchent, c’est à ce moment précis qu’ils s’engagent. Lorsque le contenu n’a rien à voir avec eux, il faudra travailler fort et longtemps avant qu’ils s’impliquent. Mais si nous les plaçons dans un environnement qui touche leurs cordes sensibles, ils oublient qu’ils sont à l’école. Lorsque tu touches cela, tu touches le niveau cognitif et linguistique et tu peux aller très loin avec eux. 

C’est un autre principe auquel je crois fondamentalement en pédagogie : lorsque nous créons des activités à partir de leurs intérêts, des activités qui parlent d’eux, à propos d’eux, ils se reconnaissent dans ce que tu es en train d’enseigner et ils s’engagent.

Donc VÉRITÉ + ÉMOTIONS + ENGAGEMENT = APPROCHE EXPÉRIENTIELLE.

Grâce à cette approche, ils s’améliorent sans s’en rendre compte. C’est grâce à cette équation que nous pouvons développer une relation pédagogique avec nos élèves.

Happy male teacher aiming at his students who raised their hands to answer the question on a class at elementary school.

Bref, l’approche expérientielle pour toi serait de réunir le cognitif, l’affectif et d’établir une relation de confiance. Mais concrètement en classe, comment je peux faire comme enseignante pour y arriver?

Souvent les enseignantes et les enseignants se sentent un peu sous pression de transmettre le contenu, de transmettre des connaissances. Souvent, nous percevons la matière à enseigner comme des blocs qui ne sont pas nécessairement reliés ensemble. Nous enseignons des modules, des parties. Nous évaluons ces parties. Cela me fait penser à des bateaux qui transportent de la marchandise. Nous les remplissons de plus en plus et les bateaux s’alourdissent. Dans la tête de l’élève, il y une partie du bateau pour le français, une autre pour les maths et les boîtes sont hermétiques. Il y a des quantités infinies de contenus à apprendre. Faire des liens devient alors une tâche complexe. Est-ce cela le rôle de l’École? C’est à nous d’aider les élèves à trouver un sens à l’apprentissage. Notre rôle est d’abord de faire des liens entre notre monde, notre matière et l’élève qui reçoit cette matière pour que lui-même puisse faire ses propres réflexions. Pour qu’il puisse comprendre par lui-même. 

Si notre approche est une approche de contenu, notre planification est organisée autour ce que nous, enseignantes et enseignants allons dire, allons faire ou du «quoi». La lumière est donc sur nous. Mais si notre planification est orientée vers l’action, vers l’expérience que les élèves vivront ensemble, ce qu’ils feront, là on entre dans l’approche expérientielle. C’est ce qu’on appelle la planification à rebours. La première question à se poser c’est : qu’est-ce que je veux que mes élèves fassent avec ce contenu d’enseignement? Et qu’est-ce que je dois mettre en place pour qu’ils y arrivent? 

Je sais que ce n’est pas évident parce que les enseignantes et les enseignants sont habitués de planifier leurs contenus. C’est rassurant pour eux. Mais pour devenir des architectes de l’interaction, c’est réfléchir en amont pour planifier l’interaction en classe autour du contenu à enseigner.

Comment donc devient-on un architecte de l’interaction?

Le secret est de placer l’action et la parole au cœur de notre planification, et ce, à tous les niveaux d’enseignement. 

Mes trucs avant de livrer le contenu :  

  • Amener la classe à déduire, à construire des informations oralement ou à l’écrit;
  • Aider les élèves à produire des messages à l’oral et à l’écrit; 
  • Organiser la matière pour qu’elle devienne vivante et qu’elle fasse place à l’interaction (ex. pense-pairs-partage);
  • Faire des liens avec la vie, les goûts et les besoins des élèves. 

Ces étapes sont comme un puzzle et c’est à l’élève de construire sa compréhension, de faire ses propres liens. Le rôle de l’enseignante ou de l’enseignant est de trouver des contenus pour soutenir le développement des compétences, pour leur permettre de jouer à la vraie vie dans la classe. C’est par la langue que l’élève peut faire ses propres liens pour atteindre les compétences par l’expérience.

Bref, le rôle de l’enseignante ou de l’enseignant n’est pas de remplir le cargo, mais bien d’aider les élèves à être actif dans ce chargement. Le micro est offert à la classe et ce n’est pas seulement l’enseignante ou l’enseignant qui le tient. C’est ce que j’appelle l’architecture d’un cours. 

Si vous n’êtes pas le plus passionné par votre matière, mais que vous structurez votre cours en mettant la lumière sur les élèves et en leur permettant de se mettre en action pour découvrir la matière, ils vont apprendre. Mais encore mieux, si l’enseignante ou l’enseignant aime sa matière, est passionné, a une belle personnalité, là les ingrédients sont réunis et la magie va opérer. L’art de l’architecture de l’interaction est donc d’avoir un bon plan d’action, une bonne planification du «comment» et non pas juste une bonne planification du contenu ou un bon PowerPoint.

En conclusion

J’avais beaucoup entendu parler de Denis Cousineau. Cette rencontre a été inspirante pour moi et je l’espère pour vous, lecteurs.
Ce que je retiens de l’art de devenir des architectes de l’interaction :

  • avoir un bon plan d’action qui planifie à rebours ce que nos élèves vont vivre comme expérience et non pas ce que nous allons enseigner;
  • intégrer l’art dans nos planifications;
  • faire place au lien avec nos élèves en classe;
  • créer des activités senties et sensées qui invitent à la réflexion et à l’échange;
  • ne pas se stresser avec le contenu, mais viser la réflexion;
  • viser le vrai et l’utile avant la quantité ou la performance;
  • aider nos élèves à oublier qu’ils sont entre 4 murs, mais qu’ils sont des humains qui sont en train d’apprendre la vie.

Merci Denis pour tes secrets sur l’art de devenir des architectes de l’interaction!

Denis Cousineau

Enseignant depuis près de 40 ans, Denis Cousineau est formateur DELF-DALF, consultant en langue seconde, spécialiste du CECR et s’intéresse à la pensée critique.
dcousineau@tfo.org

 

 

 

 

Entrevue menée par Caroline Moffet | spécialiste en contenus éducatifs, TFO-IDÉLLO
cmoffet@tfo.org

Depuis plus de vingt ans, je travaille dans le monde de l’éducation comme enseignante, conseillère pédagogique et conceptrice de matériel pédagogique. À l’instar de Rosa (2018), je milite pour l’École comme zone de résonance. Selon moi, pour résonner juste, la pédagogie doit être bienveillante, sécurisante et motivante. Je considère donc que l’École a le devoir de former des individus créatifs et indépendants, des citoyens éveillés, engagés et heureux. Notre rôle en pédagogie est d’inspirer quelque chose qui donne la chance de se comprendre, de comprendre l’Autre et le monde, ensemble.

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