Comment encourager les ados à être critiques lorsqu’ils naviguent sur le web
Par Marianne Bissonnette

Marianne Bissonnette a discuté avec des adolescents à propos de la façon dont ils utilisent les médias numériques pour s’informer. Elle a observé de grandes disparités dans leurs compétences de pensée critique. Loin de se décourager, cela l’a plutôt amenée à réfléchir à différentes avenues favorisant l’épanouissement de leur littératie médiatique.

40%. C’est la proportion de Canadiens et de Canadiennes interrogés qui affirment avoir de la difficulté à distinguer le vrai du faux dans les médias d’information. Grâce à l’augmentation exponentielle de la quantité d’information présente sur le web, les fausses nouvelles parviennent à se glisser incognito sur nos écrans, ce qui favorise un climat d’incertitude et de scepticisme exacerbé. Les jeunes sont tout aussi concernés par cette problématique, car bien qu’ils s’informent presque exclusivement sur Internet, ils ne disposent pas toujours d’un encadrement leur permettant de développer leurs aptitudes de pensée critique adéquatement.

Qu’est-ce qui se passe?

Au printemps 2018, je me suis assise avec six jeunes de la fin du secondaire afin de parler d’information et de fausses nouvelles avec eux. J’avais choisi deux textes portant sur les potentiels « dangers » du téléphone cellulaire. Le premier était issu d’un blogue de propagande pseudoscientifique et présentait une vision péjorative des technologies utilisant des ondes électromagnétiques basée sur des coïncidences et un appel aux émotions. Le second provenait de la plate-forme numérique de Radio-Canada Science et était fondé sur les connaissances scientifiques actuelles. Je les ai écoutés me parler de ce qu’ils comprenaient de leur lecture, mais surtout, j’ai observé leur utilisation des différentes compétences de pensée critique qu’ils avaient développées au cours de leur scolarité. 

Les résultats que j’ai obtenus sont vastes et exhaustifs, mais certains ont davantage attiré mon attention. Je les ai divisés en 5 catégories.

Compréhension de texte : Les élèves qui avaient une langue maternelle autre que le français ou qui avaient des difficultés en lecture ont démontré moins de nuances dans leur compréhension des enjeux. 

Évaluation de la fiabilité : L’évaluation de la fiabilité d’une source était un concept assez flou chez la plupart d’entre eux. Beaucoup ont affirmé s’informer principalement sur les médias sociaux et se fier à l’aspect visuel, ainsi qu’à l’opinion de leurs proches lorsqu’ils jugeaient la validité d’une source d’information.

Argumentation : Les élèves étaient souvent confus lorsqu’on leur demandait d’étayer leurs opinions à l’aide d’arguments. Ils changeaient d’avis lorsque je les questionnais et se montraient beaucoup plus critiques envers les arguments des auteurs qu’envers les leurs.

Numératie : Une grande importance était attachée à la présence de statistiques, même si les élèves ne comprenaient pas toujours exactement leur signification.

Métacognition : La métacognition est la capacité de comprendre notre propre cheminement de pensée. Les jeunes qui témoignaient une compréhension plus profonde de leurs réflexions démontraient également plus de compétences de pensée critique.

Smiling young Asian woman using smartphone on social media network application while having meal in the restaurant, viewing or giving likes, love, comment, friends and pages. Social media addiction concept

Qu’est-ce qu’on peut faire?

On pourrait être tenté de paniquer et s’inquiéter pour le futur de notre jeunesse, mais il faut d’abord comprendre que je n’ai interrogé qu’un petit échantillon. De plus, je suis fermement convaincue que ce qui leur manque, c’est un encadrement adéquat. Ils ont le potentiel, il ne reste plus qu’à l’exploiter!

Depuis que j’ai terminé mon expérience, j’ai longuement réfléchi à des solutions et je suis arrivée à plusieurs pistes qui s’appliquent tant aux parents qu’aux éducateurs.

En premier lieu, il est essentiel de capitaliser sur le perfectionnement des littératies fondamentales. Celles-ci incluent notamment la lecture, l’écriture et les mathématiques. Bien savoir lire, écrire et compter est la pierre angulaire d’une bonne éducation aux médias, parce qu’elle permet de saisir les nuances qui distinguent une bonne information d’une mauvaise.

Ensuite, l’évaluation de la fiabilité des sources devrait faire partie de tout projet de recherche. Comment identifier un site fiable? Comment savoir si un auteur est qualifié ou rapporte les paroles d’un expert compétent? Heureusement, il existe plusieurs excellentes références à ce sujet, comme cette infographie de l’Agence Science-Presse ou cette fiche d’Allô Prof.

L’exploration de la fine frontière entre consommateur et producteur de contenu est également une bonne façon de développer des réflexes de pensée critique chez les élèves. En voyant à quel point il est facile pour tout un chacun de mettre n’importe quoi sur le web, ils se méfieront davantage des sites inconnus et des informations disponibles sur des platesformes comme YouTube ou Instagram. On peut leur faire créer du contenu farfelu et leur montrer comment le diffuser sur internet ou encore leur montrer ce court documentaire (fictif) conçu par des élèves français : 

Voir la vidéo Révélation - La véritable identité des chats / William Laboury et les élèves de 2GA du Lycée Madeleine Vionnet (Bondy)

Finalement, on peut aussi leur montrer les différents biais cognitifs qui influencent nos choix et nos opinions. La journaliste Bouchra Ouatik a proposé une liste exhaustive de ces biais, ainsi que, pour chacun, une explication de leur fonctionnement. 

Des discussions en classe à propos de ces enjeux et de diverses questions socialement vives sont une bonne façon d’initier les élèves aux différentes habiletés et dispositions essentielles au penseur critique. Bien sûr, à la vitesse où les technologies de l’information se développent, la tâche de montrer aux jeunes comment s’y retrouver tout en restant nous-mêmes à jour peut sembler insurmontable. Il faut toutefois se rappeler que nous ne sommes pas seuls dans ce combat quotidien et que l’enseignement de la pensée critique est un poids bien plus aisément soulevé à plusieurs.

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Marianne Bissonnette
B. Sc., M. A.

Communicatrice scientifique et étudiante au doctorat en éducation

 

 

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