À la rencontre des Premiers Peuples par les mots
Par Geneviève Ouellet
La littérature nous donne accès aux vies intérieures des autres et nous permet de nous percevoir d’un point de vue différent. […] Lire est une façon d’écouter. […] Si on s’écoute, on ne peut que vivre plus pleinement ce monde. Et si on s’ignore, on se diminue.1
Deni Ellis Béchard
L’actualité des dernières années a mis de l’avant les enjeux des Premiers Peuples et a fait ressortir la méconnaissance des gens envers les réalités de ces derniers. Mais comment aborder de tels sujets en classe? L’entreprise peut paraître vaste et pleine de dangers (qui n’est pas habité par la peur de faire des faux-pas, d’adopter, bien malgré soi, une attitude colonisatrice?). En vous partageant mon expérience, je souhaite vous donner quelques pistes exploratoires.
Courte chronologie
Septembre 2020
Joyce Echaquan, une mère Atikamekw, est hospitalisée et meurt à 37 ans dans des circonstances troublantes, sous les insultes racistes à Joliette, au Québec.
Mai 2021
215 enfants autochtones sont retrouvés dans une fosse d’un pensionnat autochtones de Kamloops, en Colombie-Britannique.
Depuis novembre 2020
Passionnée par les Premiers Peuples et leur littérature depuis des années, l’idée me vient de monter un nouveau cours. Alors que je cherche depuis un bout comment m’impliquer davantage et être une alliée des Premiers Peuples, comment tisser des liens et ouvrir le dialogue, je viens de mettre le doigt sur mon filon. De concert avec une collègue, je jette les bases de ce nouveau cours – À la rencontre des Premiers Peuples. Comme je ne suis ni anthropologue, ni sociologue et que je suis allochtone, je dois trouver le ton, l’angle juste pour aborder l’autochtonie et les différents enjeux qui s’y rattachent. Professeure de littérature et de création littéraire, je trouve enfin : je vais passer par ce que je connais, la littérature, oui, mais aussi les arts au sens plus large pour amener mes élèves à la rencontre avec les Premiers Peuples.
Bases du cours
Depuis mes études universitaires, pendant lesquelles j’ai suivi un cours d’anthropologie des Premières Nations, j’ai dirigé un numéro d’une revue littéraire sur la littérature autochtone2. Au fil des ans, j’ai accumulé plusieurs contacts liés aux communautés autochtones et, surtout, je me suis nourrie des écrits, des films…. Afin de mieux comprendre les Premiers Peuples (PP), mon idée est donc de puiser dans les arts et les cultures des PP pour créer des rencontres, des échanges avec des spécialistes de divers milieux. En effet, leur littérature, leur cinématographie, leur artisanat et leurs arts plastiques constituent de formidables portes d’entrée pour mieux comprendre les enjeux qui les concernent. Grâce à eux, il est possible de reconnaître les biais et les préjugés et de les déconstruire. De plus, ils permettent d’identifier les caractéristiques culturelles des PP présentes dans le discours artistique. Dans un contexte où les débats sociaux sont souvent très polarisés/polarisants, mon cours se veut une main bienveillante tendue vers l’Autre. Grâce aux arts des PP, je veux amener mes élèves à apprécier les diverses formes d’art et, plus largement, à devenir un agent de changement dans leur entourage.
Je crois qu’il faut trouver un moyen de mettre en contact les jeunes des deux cultures [allochtone et autochtone], parce qu’ils réfléchissent déjà aux mêmes idées. Ils se préoccupent du même avenir, de la même société, du même territoire. Les plus vieux emboîteront peut-être le pas aux plus jeunes. Et nous aurons au moins tenté de faire quelque chose pour un avenir meilleur!3
Natasha Kanapé Fontaine
Ok, mais on fait comment?
Effectivement, la question se pose. Comment intéresser nos élèves à des enjeux qui, pour certains, semblent loin de leurs réalités? En provoquant des chocs cognitifs, en les amenant à réfléchir sur leurs perceptions, leurs biais inconscients, afin d’ouvrir la voie (la voix) au dialogue. Une idée qui me paraît essentielle, c’est de créer un échange entre mon groupe et un groupe formé de jeunes issus des PP. Ainsi, après avoir contacté une collègue qui enseigne chez les Premières Nations, nous formons des dyades qui seront amenées à s’écrire un certain nombre de fois durant l’année et à échanger sur différentes questions (le racisme, les préjugés, l’ouverture à l’autre, les valeurs, etc.).
Pour ce faire, l’utilisation des médias sociaux peut rendre les échanges plus dynamiques. Pourquoi ne pas planifier une rencontre entre nos deux groupes? Parmi les effets positifs de la crise sanitaire que nous vivons encore au moment d’écrire ces lignes, la pandémie et l’école à distance nous ont montré qu’il est possible de créer des liens, même en étant physiquement éloignés les uns des autres.
Œuvres coups de cœur
Romans :
Récits :
Films :
Conclusion
Quand on me demande ce que cela m’apporte, comme enseignante, de parler des Premiers Peuples en classe, je réponds que je suis convaincue que les enseignantes et les enseignants, comme l’art, peuvent à leur manière réparer l’histoire, contribuer à établir des ponts. Alors que l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan est en cours et que nous sommes toujours sous le choc de la découverte des 215 dépouilles d’enfants autochtones du pensionnat de Kamloops, j’espère que, bien humblement, je contribue à la rencontre et au mieux vivre ensemble.
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Vidéo Notre histoire, leur nation de la série Wapikoni mobile
7e année à Postsecondaire
Cette vidéo présente ce que les Montréalais connaissent sur les réalités des PP. Il est intéressant de le présenter au début d’un cours pour stimuler les connaissances antérieures et comparer les réponses du groupe avec celles des Montréalais dans le film.
Références
1Deni Ellis Béchard, dans Kuei, je te salue – conversation sur le racisme, de Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine, Écosociété (nouvelle édition – 2020)
2 https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2011-n162-qf1809955/
3Natasha Kanapé Fontaine, dans Kuei, je te salue – conversation sur le racisme, de Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine, Écosociété (nouvelle édition – 2020)
Geneviève Ouellet
Professeure en français, en littératures et en création littéraire à Mérici collégial privé. Geneviève Ouellet a enseigné en français langue seconde avant d’embrasser l’enseignement au niveau collégial en 2006. Depuis, elle partage sa passion dans une approche humaniste. L’ouverture à l’autre et la bienveillance s’inscrivent au cœur de sa pédagogie. Elle n’hésite pas à aborder des sujets sensibles en classe, que ce soit la situation des migrants, la culture du viol, le consentement ou le racisme. En 2019, elle a reçu la Mention d’honneur de l’Association québécoise de pédagogie collégiale pour l’excellence et le professionnalisme de son travail.
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