Mes langues à moi
Par Caroline Moffet

Bonjour, je me présente. Je m’appelle Aura, j’ai 6 ans. Je vis à Québec dans une famille exogame. Mon père est Anglo-manitobain et ma mère est Franco-québécoise. Nous avons deux cultures et deux langues à la maison. J’ai donc la chance d’être anglophone et francophone. Aujourd’hui, je vais vous parler du fait de grandir dans une famille exogame, des avantages du bilinguisme, de l’importance de la transmission de la langue et de la culture minoritaires.

Le bilinguisme dans le monde, au Canada et en Ontario

Parler deux langues n’est pas un phénomène isolé, car plus de la moitié de la population mondiale est bilingue[1]. Au Canada, la majorité des gens ne parle qu’une seule langue. Il y a pourtant de l’espoir, car le bilinguisme français-anglais augmente chez les jeunes de 5 à 17 ans. Il est passé de 16 % en 2006 à 19 % en 2016[2]. En Ontario, selon le recensement de 2016, il y aurait 622 415 francophones. Il paraît même que ce chiffre a augmenté de 10 915 personnes depuis 2011[3]… c’est beaucoup d’amis bilingues avec qui parler ça!

Les avantages du bilinguisme

Certains parents ont peur de parler plusieurs langues à la maison parce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants deviennent mélangés. Pourtant, parler deux langues ou plus est un avantage. Selon le Centre canadien de la statistique, les élèves bilingues réussissent mieux en lecture et en mathématiques. De plus, apprendre une deuxième langue renforce les compétences dans sa langue première.

Être bilingue permet une meilleure sensibilité interculturelle et une ouverture d’esprit envers les autres cultures. C’est ce que mon Daddy me rappelle souvent : il me transmet sa langue et sa culture minoritaire. Je suis bien contente de parler sa langue. C’est comme un secret entre lui et moi. Aussi, je peux chanter la chanson Bon anniversaire en 7 langues. Ce n’est pas vraiment utile, je sais, mais je trouve ça joli.

Pourquoi enseigner notre culture et notre langue à nos enfants?

Pour moi, apprendre d’autres langues c’est découvrir un monde nouveau. C’est une clé qui ouvre une porte sur une nouvelle culture. Langue et culture sont mariées. J’ai appris ce mot : ils sont indissociables. Ils ne peuvent pas divorcer. De plus, je sais que la langue et la culture nous permettent de nous comprendre nous-mêmes comme enfant, de comprendre la personne avec qui on parle et de mieux comprendre notre monde.

Je suis au courant que la culture francophone est minoritaire dans notre pays et qu’elle est souvent un peu seule dans un océan d’anglais. C’est justement pour ça qu’il faut parler français : pour découvrir les trésors qui nous permettent de comprendre notre histoire, notre culture francophone et d’être ce que nous sommes. Le français nous différencie des autres en Amérique. Parler français à la maison, c’est nous offrir la possibilité de devenir, à notre façon, des agents de reproduction culturelle.

Pourquoi devenir des agents de reproduction culturelle?

Il y a deux hommes, Denis et Éric qui, en 2007, ont écrit que transmettre sa culture c’est d’abord créer un rapport personnel à sa propre langue et à sa propre culture. Autrement dit, si mon père veut me transmettre sa langue, il doit réfléchir très fort à ça. C’est sa responsabilité de trouver une façon de me mettre en contact avec sa culture pour que je puisse comprendre et interpréter le monde dans sa langue.

Devenir des agents de reproduction culturelle pour :

  1. Améliorer la compréhension culturelle et linguistique globale de votre enfant ;
  2. Mobiliser son affectivité et sa cognition ;
  3. Parler, raconter, se dire : la transmission culturelle se fait par des interactions entre vous et votre enfant ;
  4. Développer chez votre enfant une attitude positive et une ouverture envers la langue et la culture françaises ;
  5. Approfondir vos propres connaissances sur une multitude de sujets en français ;
  6. Inscrire votre langue, votre culture et votre vie dans un contexte plus signifiant pour votre enfant ;
  7. Faire vivre à votre enfant une expérience enrichissante et significative ;
  8. Devenir un modèle linguistique et un médiateur culturel pour votre enfant.

Et lorsqu’on a appris tout ça, je me demande quand on sait qu’un parent a vraiment transmis sa langue à son enfant. J’ai trouvé une réponse avec Mireille et René (2014). Ces spécialistes disent que lorsqu’un enfant a la même langue que son père et sa mère, c’est que les parents ont transmis leur langue. Parfois, ce peut être une langue parlée ou une langue connue, mais il y a transmission quand même[4]. Donc, je pense que mon père a réussi à me transmettre sa langue. Il est bon parce que c’est la seule personne à Québec avec qui je parle anglais.

Les trucs de mon père pour favoriser l’apprentissage de sa langue

  • Un parent, une langue : il s’est toujours adressé à moi en anglais. Lorsque je réponds en français, il fait semblant de ne pas comprendre cette langue (je sais que ce n’est pas vrai, mais ça fonctionne).
  • Contact avec la culture minoritaire : Il m’a lu des livres en anglais lorsque j’étais bébé et il le fait encore aujourd’hui. Il m’a fait découvrir la culture anglaise à Québec (centre culturel, musée, pièces de théâtre en anglais, librairies anglaises, heure du conte, nous allons au Centre médical anglophone, il me chante ses berceuses en anglais, etc.).
  • Visites de sites historiques, patrimoniaux culturels : Cet été, nous irons en voyage au Manitoba pour qu’il me fasse découvrir sa culture, sa ville, les grandes Prairies canadiennes. Ce sera un beau voyage, beau et utile.
  • Contacts fréquents avec le réseau de locuteurs de la langue minoritaire : Il me met en contact virtuel avec ses parents pour l’heure du conte chaque semaine. Mes grands-parents me lisent un livre et je peux discuter avec eux en anglais.
Aura_fleur_

Aux parents passeurs de culture :

  1. Comme parents, que voulons-nous transmettre comme culture à nos enfants ?
  2. Que représente la culture francophone pour nous ?
  3. Quels en sont ses symboles ?

Devenir un parent médiateur culturel, c’est donc proposer des activités qui nous amènent à découvrir, à nous questionner, à chercher, à comprendre et à construire nos réponses personnelles au sujet de notre langue et de notre culture. C’est être soi-même un parent-passeur de culture.

En conclusion

Dans le fond, c’est une grande responsabilité que de devenir des parents-passeurs de culture! Mais je peux vous assurer que nous les enfants, nous en sortons grandis. Je suis fière d’être anglophone et francophone. Je suis fière d’être biculturelle. 

 

 

À la fenêtre, la journée s’achève. Je la vois encore si lumineuse. Ce qu’il y a de fantastique, c’est que je peux la décrire en français et en anglais. J’ai donc deux fois plus de chance d’observer la vie. Je ris. Merci Daddy.

Références

[1] Grosjean, F (2016). Parler plusieurs langues : entrons dans le monde des bilingues. Huffpost. https://www.huffingtonpost.fr/francois-grosjean/parler-plusieurs-langues-le-monde-des-bilingues-quelques-reflexions-de-lauteur_b_6246976.html

[2] Centre canadien de la statistique de l’éducation (2019). https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2019090-fra.htm

[3] Site du Gouvernement de l’Ontario :
https://www.ontario.ca/fr/page/profil-de-la-population-francophone-de-lontario-2016#:~:text=Les%20francophones%20repr%C3%A9sentent%204%2C7,la%20province%20diminue%20depuis%201986.

[4]
Vézina, M. & Houle, R. (2014). La transmission de la langue française au sein des familles exogames et endogames francophones au Canada. Cahiers québécois de démographie, 43 (2), p.406399–438.

Bouchard-Coulombe, C. (2011). La transmission de la langue maternelle aux enfants : le cas des couples linguistiquement exogames au Québec. Cahiers québécois de démographie, 40 (1), 87–111.

Gohier, C. (2005). La polyphonie des registres culturels, une question de rapports à la culture : l’enseignant comme passeur, médiateur, lieur. Études/Inuit/Studies (29), no.1-2, 35-46.

Guérin-Lajoie, D. (2002). Le rôle du personnel enseignant dans le processus de reproduction linguistique et culturelle en milieu scolaire francophone en Ontario. Revue des sciences de l’éducation (28), no1, 125-146.

Simard, D. & Falardeau, É. (2007). Le rapport à la culture des enseignants : proposition d’un cadre théorique. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation (10), no 2, 131-150.

Caroline Moffet
Conseillère pédagogique à Mérici collégial privé et conceptrice pédagogique pour TFO

cmoffet@tfo.org

 

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